Fukushima made in France
- Article par Éric Jousse
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Publié le jeudi 15 mars 2018, 21h00 - modifié le 15/03/18 - Des livres - Lien permanent
On y parle d’eau, de vent, de burn-out, de dettes pharaoniques, de fluence, de fissures (en tout genre), de barrages menaçants, de sous-traitances maltraitées, de diésels défaillants, de LAM décapité, d’indépendance énergétique et de thermosensibilité, d’Enercoop, de ZAD, de Bure et Cigeo, de CLER aussi, de TEPOS et enfin, d’autoconsommation.
C’est tout une histoire de risques, de menaces… et de temps qui vient à manquer.
À lire absolument :
(et ça se passera près de chez vous)
Thierry Gadault & Hugues Demeude
Flammarion Enquête - février 2018
En voici un court extrait.
Pages 158-161
Quand il succède à Proglio en novembre 2014, Jean-Bernard Lévy, qui a longtemps dirigé le groupe Vivendi, est effondré par ce qu’il constate. Il le reconnaîtra volontiers en public, notamment en marge du séminaire-presse organisé le 19 septembre 2017, confirmant que la situation financière [d’EDF] est très compliquée et que ses prédécesseurs ont fait preuve d’inventivité pour que ça se remarque le moins possible…
Lui a commencé à mettre au clair les choses. En février 2016, en présentant les comptes annuels de l’électricien, il appelle au secours l’État : EDF a besoin d’une recapitalisation urgente et l’État doit arrêter de pomper dans la caisse 2 milliards d’euros par an sous forme de dividendes.
Il sera entendu. Le gouvernement accepte d’organiser une augmentation de capital : elle a été réalisée en mars 2017 et a permis à l’électricien de lever 4 milliards d’euros, dont 3 versés par la France. En 2016, l’État prend également l’engagement de ne plus toucher son dividende en cash, mais sous forme d’actions, pour éviter de trop peser sur la trésorerie de l’entreprise . Ces décisions ont eu un impact positif sur les comptes du premier semestre, avec une hausse de la trésorerie à 3,8 milliards. Mais on voit bien que la situation demeure très compliquée.
En fait, tous les éléments semblent se liguer contre EDF pout empêcher son redressement financier. Depuis trois-quatre ans, les hivers sont doux : catastrophe, les français consomment moins d’électricité pour se chauffer, donc EDF encaisse moins de revenus. En fait, contre toutes les prévisions de l’électricien qui s’attendait à une croissance soutenue de la demande portée par la forte démographie du pays et la multiplication des usages, la consommation nationale d’électricité stagne depuis le début de la décennie, comme dans le reste de l’Europe.
De plus, si la France a peu investi dans le développement des énergies renouvelables, comme le solaire et l’éolien, pour protéger les revenus d’EDF, ce n’est pas le cas de nombreux pays européens, notamment l’Allemagne et les pays scandinaves. Résultat, des surcapacités de production ont été créées, pesant fortement sur les prix du marché, maintenu à un niveau faible (autour de 35-40 euros le MWh). Une très mauvaise nouvelle pour EDF : ce niveau de prix ne permet donc pas de couvrir qu’une partie de ses coûts.
Autre mauvaise nouvelle : depuis le début de l’année 2017, l’électricien ne peut plus affirmer que le nucléaire en exploitation en France est la moins chère de toutes les énergies. Deux appels d’offres dans l’éolien terrestre, lancés en Allemagne et au Danemark, ont été attribués à des opérateurs, qui n’ont pas demandé le versement de subventions publiques. En clair : les prix de marché actuels leur permettent d’être rentables sur la durée de vie de leur parc éolien ! Pour le solaire (photovoltaïque), les coûts de revient des derniers appels d’offres attribués en Europe tournent autour de 50 euros par MWh, faisant aussi de cette énergie renouvelable une offre tout à fait concurrentielle par rapport au nucléaire français. Il n’y a donc aucune raison de voir les prix de marché se redresser significativement.
Pour le moment, l’absence de volonté politique en France pour développer les énergies renouvelables et mettre en œuvre un grand plan de rénovation thermique des logements (permettant de faire baisser massivement la consommation électrique pour le chauffage) a permis à EDF de s’en sortir. Il peut continuer d’exploiter son parc pour tenter de gagner le maximum d’argent. Mais les temps deviennent de plus en plus difficiles.
Après avoir cru pouvoir imposer à l’électricien de fermer jusqu’à 17 réacteurs d’ici 2015, Nicolas Hulot, le ministre de la Transition écologique et solidaire, a d’ailleurs été contraint de reconnaître, mardi 7 novembre, qu’il n’était pas en situation de tenir l’objectif de la loi de transition énergétique votée en 2014 par le Parlement et qu’il prévoyait la réduction de la part du nucléaire dans la consommation électrique à 50 % en 2015 (contre 75 % actuellement). Bon, entre nous, tout le monde le savait déjà depuis… 2014 !
Eh oui, pour atteindre cet objectif, il aurait fallu rénover les logements, pour réduire la consommation, imposer d’importants objectifs en termes d’efficacité énergétique, et investir massivement dans les renouvelables. Trois mesures qui n’ont jamais été mises en œuvre, ni même imaginées, par le gouvernement Hollande-Valls. Actuellement, la consommation d’électricité en France tourne autour de 480 TWh. Imaginez notre pays dans lequel le nucléaire ne produirait que 240 TWh. Avec quelles énergies va t-on produire le reste si on n’a pas investi ? Ou on s’amuse à faire des coupures tournantes et à s’éclairer à la bougie ?
C’est ce qu’a également confirmé, le 7 novembre 2017, RTE, la filiale réseaux de transport électrique d’EDF en charge de l’équilibre de l’offre et de la demande. RTE se livre régulièrement à un petit exercice de prévisions sur quinze-vingt ans. La conclusion de sa dernière étude : faute d’avoir pris les décisions qui s’imposaient en 2014 ou 2015 pour accompagner la baisse de la part du nucléaire dans le mix électrique, l’objectif de 50 % ne pourra être atteint qu’entre 2030 et 2035. Ce qui veut dire aussi qu’il n’y a plus de temps à perdre si on veut y arriver.
Pour EDF, ce recul de dix ans de l’objectif fixé en 2014 est le miracle tant attendu auquel elle ne croyait plus. L’État et l’ASN vont être obligés d’autoriser la prolongation de la durée de vie du parc nucléaire au-delà de quarante ans. Eh oui, il faudra bien produire toute l’électricité dont nous avons besoin. Mais nous venons de mettre les doigts dans la prise en ayant les pieds dans la baignoire. Le court-circuit va faire mal. Et dans l’atome, ça s’appelle un accident nucléaire grave. Vu l’état catastrophique de nos réacteurs, difficile d’imaginer qu’on puisse y échapper.
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