Les chroniques de la monnaie (4)
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Posted on Thursday 12 November 2009, 16h23 - updated on 12/11/09 - Essais - Permalink
Pour cet épisode, nous allons examiner, ce qu’il advient lorsque l’État injecte des fonds pour la réalisation de “grands travaux” et les conséquences sur l’économie. Nous découvrirons là aussi que nous sommes très éloignés des poncifs qui circulent (plus rapidement que la monnaie, hélas !).
Les faits relatés dans le conte ci-dessous se sont déroulés dans un pays imaginaire, mais il se pourrait qu’ils vous évoquent des évènements météorologiques que nous avons eu à connaitre.
Le coût réel d’un investissement public.
Il y eut une fois, il y a fort longtemps, dans un pays
qui s’appelait La Françutopie, une terrible tempête océane.
Des
forêts entières furent abattues, mais surtout, le peuple de l’ouest
vécut de très longues journées sans électricité, les pylônes et
les lignes ayant été abattus.
Le Grand Ordonnateur manda son Grand Argentier et lui tint à peu près ce langage :
Monsieur le Grand Argentier, je désire que l’ensemble des câbles électriques de la Françutopie soient enterrés, afin que si survient de nouveau une si terrible tempête, le bon peuple n’en souffre plus et que les techniciens de l’électricité puissent passer les fêtes de fin d’année tranquillement au coin du feu, avec leur famille, au lieu de grimper sur des pylônes dans le froid et la pluie. Ceci également rendra plus accueillants les paysages de notre merveilleux pays pour les millions d’étrangers qui le visitent chaque année au grand bénéfice de notre balance des paiements.
Le Grand Argentier obtempéra, appela le directeur général de la Distribution d’Électricité en Françutopie (D.E.F.) et lui transmit les souhaits du Grand Ordonnateur.
Impossible, lui répondit celui-ci, cela coûterait 15 milliards d’eurosutopiques (€) TTC, nous n’en avons pas les moyens.
Le grand Argentier rapporta cette conversation au Grand Ordonnateur qui réfléchit quelques jours et ordonna que :
La D.E.F. serait maître d’œuvre de l’enfouissement des lignes électriques en Françutopie.
Qu’elle prendrait les sous-traitants qu’elle souhaitait
Que les travaux seraient payés au fur et à mesure des avancements par l’État qui les financerait, ainsi elle n’aurait nul besoin de crédit bancaire, mais aux conditions suivantes (il s’agit d’hypothèses de travail bien sûr !!) :
Qu’il n’y aurait aucune importation, de matières ou de produits finis. Tout devait être extrait et transformé en Françutopie.
Que les entreprises sous-traitantes ne fassent, sur ce chantier, aucun bénéfice. C’est-à-dire que le flux d’argent entrant devait être intégralement distribué, soit en salaires, soit en paiement de fournisseurs amont, soit en Taxe Vraiment Admirable (1) qui est un impôt sur l’ajout de la valeur que réalise chaque créateur de biens ou de service, soit en charges en retour à l’État. Il n’y aurait donc aucun impôt sur ces sociétés puisqu’elles ne feraient pas de bénéfices.
Que seuls des salaires seraient payés, du balayeur au directeur, de telle manière que chacun ait la juste rémunération de son labeur et que chacun s’engage à dépenser ces salaires dans le commerce, au fur et à mesure, et à ne pas les immobiliser dans d’éventuels placements financiers que proposaient encore les banques de l’époque. Les actionnaires, n’ayant aucun labeur réel dans cette opération (ils se contentaient de toucher des jetons de présence aux Assemblées générales), ne percevraient aucun dividende.
Les amortissements seraient intégrés dans les coûts, à charge pour les entreprises d’effectuer les investissements de remplacement dans le cadre défini ci-dessus.
La D.E.F. chercha quelque temps les entreprises qui
acceptaient ces conditions, et finalement en trouva deux, en décidant
de se charger elle-même de raccorder les câbles aux
extrémités, travail difficile et dangereux s’il en était.
La
société Dufil qui fabriquait les câbles,
La Société
Latranchée qui se chargeait de réaliser les tranchées et de poser
les câbles au fond de ses trous.
Et l’on se mit au travail.
Je vous passe les
difficultés que rencontrèrent les entreprises pour éviter toute
fuite d’eurosutopiques à l’exportation, par exemple lorsqu’elles
avaient besoin d’acheter une pelleteuse mécanique, du ciment, ou
des ordinateurs, avec la certitude que tous les composants étaient
fabriqués en Fransçutopie et que les matières premières qui
servaient à les fabriquer ou à les faire fonctionner venaient
également de Françutopie. Mais il est inutile de rentrer dans ce
genre de détail.
Au bout du compte, tous les câbles furent enterrés en une année et la Françutopie retrouva ses paysages naturels.
Le grand Argentier mit plusieurs mois à comprendre
comment l’enfouissement des câbles n’avait rien coûté à
l’État françutopien et avait permis une augmentation
substantielle de l’activité et par conséquence une diminution
importante du chômage qui, à l’époque, frappait durement la
Françutopie.
Il est vrai que, depuis sa sortie de l’ENA (2), il
avait toujours été ministre du Grand Ordonnateur, et chacun sait
bien que les ministres sont très peu au courant des véritables
réalités économiques…
Mais il y avait, fort heureusement,
quelques conseillers qui eux ne venaient pas de l’ENA, dans son
ministère. Ils lui donnèrent quelques cours du soir et lui
expliquèrent, pas à pas, ce qui s’était passé.
1 TVA: Taxe Vraiment Admirable dans la mesure ou elle a
réussi à faire que ce soit les entreprises qui soient devenues
percepteurs (fermiers généraux) de l’État… mais ceci est un autre
débat…
2 ENA: Ecole Nullement Adaptée… est-il vraiment
nécessaire de s’appesantir ?
Nous allons maintenant examiner, avec notre Grand Argentier, la manière dont la monnaie injectée par l’État circule (sortons rapidement calculettes et aspirine !). Cependant avec un peu d’attention vous verrez que cela n’a rien de très complexe : il s’agit d’un tableau de chiffres.
Le Grand Argentier finit donc par comprendre que toute production de biens réels ne
coûte que du travail et des marges imbriqués, les matières
premières étant fournies gratuitement par la nature (celle-ci
n’ayant pas de compte en banque) et donc que seul coûte, en
salaires, le travail pour les extraire ou les transformer.
Que
l’argent ne se consomme pas et qu’il circule de mains en mains !
Que les chaînes en cascade représentent des cycles !
Que tant
que de la capacité de travail est disponible, l’injection
d’eurosutopiques (€) dans l’économie ne coûtait rien à
l’État, sous réserve bien sûr qu’il ne doive pas payer de
quelconques intérêts sur cette monnaie, fiduciaire ou scripturale,
car, en définitive, tout argent mis en circulation par
l’État revient à l’État.
Les agents de la D.E.F. passèrent,
jusqu’à leur dernier jour, les fêtes de fin d’année avec leurs
familles, malgré les autres tempêtes océanes dues au dérèglement
général du climat sur la Planète, jusqu’à ce que celle-ci
reprenne son équilibre au fur et à mesure de la diminution de la
pollution et de l’excès d’activité des hommes.
Mais ceci est
Conclusion
De cette présentation il ressort que sous certaines conditions:
- Toute injection de monnaie par l’État, à utilité de travaux collectifs qu’il commande aux entreprises privées, lui revient intégralement au terme d’un certain nombre de cycles (de l’ordre de 4 à 5 ans)
- Que pour une injection de 15 Md’€ l’activité totale générée s’établit à 63 Md’€ car les activités secondaires générées ont un effet multiplicateur
- Que, toujours pour une injection de 15 Md’€, les salaires bruts distribués le sont pour un total de 37 Md’€, et donc que le coefficient multiplicateur des salaires bruts est de 2,46.
- Que 37 Md’€ , pour une moyenne de salaire brut de 22500 € annuel, représentent 1.640.000 emplois (qui deviennent pérennes dès lors qu’il y a injection de 15 Md’€ de commandes publiques annuelles). Ces emplois supplémentaires permettent soit de diminuer les prestations d’Assedic (donc les cotisations salariales et patronales), soit d’augmenter les prestations compensatoires envers les laissés-pour-compte de la société.
- Que les cotisations sociales redistribuables représentent 23 M’d€.
- Ce que l’on peut y voir aussi, compte tenu de la vitesse annuelle de rotation de la monnaie (actuellement entre 4 et 5) c’est qu’au terme d’une rotation, c’est-à-dire une année, l’Etat a déjà récupéré 75 % de la somme engagée.
Ces démonstrations restent valables quel que soit le bien ou service d’intérêt général, même s’il s’agit d’une bibliothèque municipale, sous réserve que ce soit l’État qui finance (ou rembourse la commune de son «avance de trésorerie», ce qui revient au même).
Corollaires
Les grands et petits travaux, biens collectifs d’utilité publique, présentent des avantages certains :
- Ils procurent les biens d’équipement collectifs, vitaux pour le pays.
- Ils procurent du travail à ceux qui n’en ont pas.
- Ils permettent la création d’activités individuelles secondaires.
- Ils permettraient, en injectant moins de 30 Md’€, de résorber totalement le chômage et l’exclusion.
Cette étude invite aussi à se poser quelques questions fondamentales :
- Pourquoi l’État a t-il abandonné son droit de créer l’argent dont il a besoin, avec pour conséquence qu’il doit donc maintenant couvrir les déficits ( qui correspondent grosso-modo aux intérêts payés) en empruntant sur le marché financier? (je reviendrai dans le prochain épisode sur le sujet de la dette de l’État; nous y verrons là aussi le rôle de l’intérêt et ce que cela nous coûte)
- Pourquoi refuse t-il de lancer les grands travaux dont nous avons besoin (ferroutage, enfouissement des lignes électriques, investissement dans la recherche, développement des énergies renouvelables, indépendance logicielle et informatique, etc, et en allant plus loin, l’aide aux PVD sous forme de “plan Marshall”)
Je n’ai pas de réponse à ces dernières questions… Comment les banquiers ont-ils obtenu de nos dirigeants le droit exclusif et exorbitant de créer la monnaie ?
L’État dit “je n’ai pas d’argent”, alors
qu’il a tout fait pour ne pas en avoir.
L’État dit “je
n’ai pas d’argent pour créer de l’emploi “, alors que
l’emploi n’en consomme pas.
“Coûter cher” signifie simplement “coûter
beaucoup de travail…”
C’est justement l’objectif
recherché pour résorber le chômage.
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Alan · 14 November 2009, 14h37
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J’aime beaucoup cette chronique de la monnaie, car j’ai le sentiment que nous sommes peu informés sur les tenants et les aboutissants de la monnaie, tout en subissant malencontreusement ses effets. Je n’ai pas assez d’armes à mon goût pour affronter les arguments économiques, donc cette chronique tombe à pic.
Cependant, je me permets d’attirer votre attention sur le fait que les deux première chroniques «se suffisaient à elles-mêmes». Leur construction était très claire, aérée, et on voyait bien où allait l’argent, d’où il venait, etc. La dernière chronique me laisse songeur, et j’ai l’impression de ne pas tout bien comprendre : le rôle de l’État dans l’économie me semble apparaître tout à coup, sans plus d’explications. Il me semble que c’est pourtant une question qui divise les partis et les économistes.
J’ai l’impression que pour une fois, vous teintez votre propos économique d’une critique. Bien sûr, avant aussi, mais ici, j’ai l’impression de ne lire que cela, et de ne pas avoir appris un véritable ‘concept’ en économie. (Si ce n’est qu’en France, les marchés publics devraient n’employer que des Français ?) Par ailleurs, le rôle de la TVA, de l’ENA, etc., sont critiqués sans justification solide, c’est carrément léger : je ne peux pas parler économie simplement en ayant une ‘opinion’ sur la TVA et l’ENA.
Ceci dit, je vous remercie de votre chronique… en attendant la suite !
À bientôt, pour la prochaine chronique !
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edrobal · 14 November 2009, 16h44
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Le but de ces chroniques est de faire comprendre que la monnaie en elle-même n’est pas une ressource et qu’elle n’a pas de raison intrinsèque d’être limitée. La monnaie est un agent permettant de lier un besoin à une ressource.
Si la monnaie est limitée alors que le chômage a libéré une quantité de ressource humaine, c’est que les États ont abandonné leur pouvoir de “battre monnaie” au profit - c’est le cas de le dire - d’institutions privées et ce, en application de la théorie néo-ultra-libérale cher à l’axe Reagan-Thatcher-Blair-Bush, le véritable “axe du mal”.
Cette chronique prolonge donc les précédentes avec, il est vrai, un peu plus de technicité. Par ailleurs, la critique du système est un des buts de ces chroniques. Je ne pense pas que quiconque ait pu l’ignorer.
Enfin quant à l’opinion négative sur la TVA et l’ENA, si elle n’est pas motivée, c’est que ce n’est pas le sujet, ce qui n’empêche pas que je la partage avec bien d’autres. -
Alan · 18 November 2009, 14h01
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OK. Vous avez sans doute raison, et j’entends, je comprends que vous pensiez votre propos de façon très précise. Mon propos est de vous suggérer de rassurer le lecteur sur ce qu’il peut comprendre grâce à vos articles. Dans les trois premiers articles, on comprend nettement qu’il y a une historiette qui illustre un ‘concept’ de l’économie en tant que science. Libre à chacun ensuite de vous suivre pour accepter de bouger les choses dans sa tête, mais au moins, les ‘concepts’ avancés sont clairs : ils sont valides au sein de la fiction.
Ici, vous donnez un exemple de fiction et un ‘concept’ associé (la redistribution de l’argent de l’état au sein de l’état), mais cela me semble /magique/ comme dénouement, ou du moins, bien plus magique que dans les autres historiettes. J’entends déjà l’axe libéral rétorquer que l’état fait tout mal, à la mode «combien ça coûte ?», et je ne sais pas bien quoi lui répondre : si ça a marché une fois, pourquoi cela marcherait-il en général ? Votre fiction, de mon point de vue, déssert le concept, par sa magie : j’ai l’impression que ça arrive sans raison. Et d’ailleurs, du coup, je ne suis pas sûr d’avoir bien compris pourquoi ce n’est pas ‘magique’, toute cette histoire.
Rien à voir, mais dans les autres histoires, on restait dans un cadre assez ‘humain’, et là on passe directement à un niveau étatique, ce qui soulève beaucoup de questions chez moi sur ce qu’est l’état dans l’économie, ou sur ce qu’il devrait être. Bref, j’arrête mes jérémiades, et je vous laisse sur cette dernière interrogation : pourquoi avoir ‘numéroté’ cette article «suite» alors que les autres sont numérotés 1 2 3 ? On s’y perd ! Peut-être qu’un lien qui regroupe toutes vos historiettes seraient un bon atout.
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highlander87 · 27 November 2013, 01h05
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Cher rédacteur de cet article,
Je lis tous vos articles depuis quelques temps et c'est un vrai régal que de lire la manière dont vous mettez en évidence toutes les illusions dans lequel nous baignons. Merci du fond du cœur pour ce que vous faites. Il n'est pas de meilleur moyen de participer au sauvetage de la planète qu'en participant de manière active à l'éveil des conscience.