Jusques à quand...
- Article par Jean-Claude Roulin
- |
- Comments (0)
- |
- Attachments (0)
- |
- RSS Feed
Posted on Monday 15 June 2009, 18h29 - updated on 15/06/09 - Édito - Permalink
Europe :
Sur 27 pays
votants, nombre
d’électeurs inscrits : 375 millions. Nombre
d’abstentions :
213,4 millions.
Ont
voté : 161,6 millions.
France :
44,3 millions
d’électeurs
inscrits. 26,3 millions d’entre eux se sont abstenus.
Ont
voté : 17,2 millions.
Et
781 480 électeurs ont voté blanc ou nul (soit 1,76 %).
Ce
qui, soit dit en passant, réduit singulièrement le score réellement
exprimé de tous ceux qui pavoisent aujourd’hui :
UMP :
10,8 %, PS : 6,41 %, Europe
Écologie : 6,33 %,
MoDem ; 3,29 %, FN : 2,47 %, Front
de Gauche :
2,35 %, NPA : 1,9 %.
ON A GA-GNÉ !
… titre Bernard Langlois dans son bloc-notes en livraison hebdomadaire du Politis du 11 juin 2009. Ironie bienvenue de la part de ce chroniqueur hors-normes de la vie politique depuis bien longtemps, et dont les analyses, en général bien inspirées, tranchent avec le tout-venant du landerneau journalistique français.
Mais pourquoi donc, reprendre ce poncif : « Le premier parti de l’Union européenne est donc, de très loin, celui des abstentionnistes. On a ga-gné ! ». Certes. pour préciser immédiatement après : « Mais ne croyez pas que je me réjouisse de cette ”victoire” ! ». À juste titre. Toujours lucide, l’ami Bernard !
« L’abstention, premier parti européen »s’était déjà écrié Anne-Cécile Robert du Monde Diplomatique, au lendemain du scrutin européen.
Je résume : « Le vrai parti qui a gagné, c’est celui de l’abstention » peut-on lire ici ou là !
Premièrement : Cet énoncé m’apparaît comme un condensé de ce qu’il y aurait à déconstruire précisément et à interroger. Il porte en son sein des paradigmes qui, visiblement, sont posés avec autorité comme indépassables ou incontournables sous peine d’être classé à contre-courant ou de se faire taxer de jusqu’au-boutiste. Il pose l’élection de représentants du peuple, le système électoral actuel comme le lieu-même, l’unique sanctuaire et l’aboutissement de la démocratie, sans jamais questionner ce Saint-des-Saints.[1]
En second lieu : Il présente l’abstention comme un réservoir de voix qui pourrait être assimilé à un tout homogène, là où il faudrait interroger le pourquoi, quasiment en termes sociologiques, voire philosophiques, comme lieu de l’impasse à pouvoir s’exprimer dans le « jeu » institutionnel tel qu’il existe actuellement, et tel qu’il est accepté par tous ceux qui jouent précisément ce jeu : partis en premier lieu et citoyens-électeurs.
Dernier point, il insinue, presque de façon subconsciente, que la forme « parti » serait la seule forme d’expression politique. Celle-ci se retrouve en quelque sorte « naturalisée », avec toute la force d’une évidence, comme l’essence même du politique. Ce titre, cette simple phrase est un précipité de tout ce qui serait à mettre sens dessus-dessous.
Oserons-nous, un jour, poser ces questions :
- Pensons-nous que les élections et la représentativité politique attribuée à une caste de politiciens professionnels soient l’unique mode politique ?
- Sommes-nous même convaincus que quoi que ce soit ait été « acquis » un jour par ce modèle institutionnel ?
- Si la réponse à la question précédente s’avère négative – ce qui me semble être, en effet, le cas -, pourquoi continuer à espérer dans cette impasse ?
- Les acquis sociaux, les prises de conscience et les progrès en terme de protection écologique ne passent-ils pas plutôt par les luttes ?
- Les avancées éthiques ou philosophiques elles-mêmes, comme le lent détachement vis-à-vis de la pensée magique et religieuse, sont-elles le fruit d’un processus électoral ou d’une guerre de tous les instants contre tout ce qui nous conditionne et nous enferme par le culturel », souvent autre forme du « cultuel » ?
- Les partis ou les « mouvements » politiques - euphémisme post-moderne pour dire à peu près la même chose –
dans lesquels nous sommes sommés de nous reconnaître, à qui nous déléguons trop souvent notre parole, ne sont-ils pas consubstantiels à la forme institutionnelle prise par l’exercice politique depuis le XIXème siècle ?
- L’existence de ces partis n’est-elle pas conditionnée, ne serait-ce que financièrement, aux remboursements espérés lors des élections ?
- Tout discours sur l’Unité, est alors obsolète ou une gigantesque tartuferie… et nous le savons bien !
- Beaucoup de gens appartenant à ces partis dits de gauche puissance 2 [2] ou alternatifs affirment haut et fort et prétendent appliquer l’autogestion… quand ils seront au pouvoir !
- Sous quelle forme cette autogestion est-elle envisageable dans le corset institutionnel actuel ? Y compris au niveau le plus près
des pâquerettes et où il serait le plus naturel de s’impliquer : la commune ?
- Réquisit indispensable : ces organisations à vocation électoraliste appliquent-elles cet étendard fièrement brandi de l’autogestion ?
Répondre à cette dernière question, c’est soit partir dans un gigantesque éclat de rire ou alors dans un mouvement de colère inextinguible ! Car on ne peut prôner haut et fort ce que, par ailleurs et au quotidien, on ne PRATIQUE pas. Or la praxis est le lieu par excellence du politique. Terme qu’il faudrait bien-sûr également (re)définir comme lieu où s’exerce les choix des citoyens. Lieu qui ne peut se concevoir que dans l’exercice de l’égalité (isonomia, disaient les Athéniens) c’est-à-dire décider ensemble ce qui semble bon, à un moment donné, en l’état actuel des connaissances - ce qui implique la notion essentielle de réversibilité possible des décisions prises.
Pourquoi ne pas dire tout simplement que nous sommes dans la panade ?
Je viens de jeter ici quelques pistes de réflexion. Je ne suis pas un politique et ce qui m’intéresse c’est beaucoup plus le terrain des idées et celui de l’action. Ceci pour dire que nous avons plus que jamais besoin de débattre - et je crois que l’un des objectifs de Netoyens! est de répondre à cette nécessité -, mais aussi d’initier quelque chose qui ressemble peu ou prou à une espérance : espérance que nous pouvons sortir de cette panade, et cela, excusez-moi, nécessite une espèce de foi [3], foi en nous-mêmes, en nos propres forces mises en commun, certitude que nous sommes en mesure d’y travailler en élaborant d’autres modèles. La définition d’un ou plusieurs autres modèles qui émergeront, j’en suis certain, de par le type de maïeutique que des gens qui s’interrogent sur les impasses de ce système politique sont en train de mettre en place.
Plutôt que de se réjouir des « bons scores » de tel ou tel groupement politique (nous avons vu plus haut les chiffres très relatifs de ces « victoires » bleues ou vertes !).
Plutôt que de se réconforter des chiffres impressionnants de l’abstention au niveau de tous les pays européens, il nous faudrait a contrario nous en inquiéter. D’ailleurs, il serait intéressant de connaître précisément le pourcentage de gens qui, en âge d’aller voter, ne vont même plus s’inscrire sur les listes électorales… et les raisons de cette défection civique !
Quel commentateur zélé, quels z’observateurs fins de la vie politique prendront réellement cette dimension, la plus importante, au lieu d’aligner des conclusions factices, de noircir des pages de journaux de résultats convenus… Comme si de rien n’était ! Piètres analystes en réalité qui ne mesurent pas la coupure qui est en train de s’installer entre le citoyen de base et les représentants politiques qu’il a – ou, plutôt, qu’il n’a pas - choisis !
L’Europe n’intéresserait pas le péquenaud de base ? Nous avions, bien au contraire, assisté à bien plus qu’un intérêt lors de la campagne pour le référendum sur le TCE en 2004, et la victoire, sur fond de grande participation électorale, du NON le 29 mai 2005 ! Ce, contre l’avis autorisé de tous les experts en expertise politicienne.
Non, cette coupure recèle potentiellement un grand danger et tout individu, tout citoyen conscient, tout analyste devrait le percevoir, s’en inquiéter et œuvrer à trouver d’autres réponses. Irresponsables ceux (journalistes, élus, partis et mouvements politiques, militants de tout poil…) qui décideraient de ne rien voir ou de faire la sourde oreille à cette insurrection que l’on sent monter, à ce divorce consommé entre le « peuple » et ses édiles ! Pourquoi ne pas dire en premier lieu que cette situation a de quoi faire peur et craindre le pire ? Que nous avons également toutes les raisons d’être profondément en colère vis-à-vis de tous ceux qui nous ont amené à cette situation… [4]
L’agora comme lieu du politique
Je n’ai, bien-sûr, pas la solution à toutes ces questions, mais je les pose, et il nous faut oser les poser - dans la paix et le respect propres au débat - si nous voulons à la fois avoir des chances de nous en sortir, mais aussi pouvoir continuer à nous regarder tous les matins dans notre miroir.
Comment refaire du politique ? Je veux dire : autrement que sous la seule forme qui nous est impartie – et qui d’évidence ne fonctionne plus – ou sa contrepartie inévitable si nous n’y prenons pas garde : à coups de jets de pierre et de jeu de ping-pong avec les forces dites de l’ordre ? Ne désirant ni l’une ni l’autre forme, je ne vois d’autre alternative que de refaire agora et de nous doter de moyens pour que celle-ci se réalise le plus librement possible. L’entreprise netoyenne et toutes celles qui vont dans ce sens contribueront à nous faire sortir de cette impasse par la mise en place de lieux de débats indispensables pour notre époque.
À titre d’exemple de débat possible et souhaitable, nous assistons aujourd’hui à un véritable retour à Marx, de la part de ses héritiers [5], bien à la peine dans leur œuvre de refondation politique, cela s’entend. Mais le syndrome s’étend jusque chez Alain Minc, se déclarant récemment le « dernier marxiste français » (sic) !
Avec la mouvance altermondialiste, nous avons vu apparaître d’autres formes de luttes, d’autres paradigmes sociaux qui bouleversent le concept traditionnellement pratiqué de « lutte des classes ». N’avons-nous pas à interroger ce concept, mais aussi les contre-feux qu’il a engendré dernièrement ?
Sans avoir l’obligation impérative d’être « marxiste », reconnaissons que l’analyse marxienne de l’état de la société de son époque est toujours valable. Classes, il y a, même si celles-ci ne sont plus tout à fait ni exactement les mêmes, ni placées au même endroit de l’échiquier social. Tout progrès social n’a été acquis que par les luttes opposant précisément des catégories de personnes que l’on peut décrire rapidement en termes de dominants-dominés, exploiteurs-exploités, décideurs-exécuteurs… Nous ne pouvons allègrement faire fi de cette dimension agonique qui remonte elle-même aux origines de la démocratie et, donc, du politique, stricto sensu.
Est-ce pour autant, le seul moteur de l’Histoire ?
En fait, il en existe bien d’autres, beaucoup plus sous-jacents, non-dits, quasi inconscients, qu’il nous faudrait mettre au jour. Quelques exemples : le don, qui est bien antérieur au commerce ; l’institution du mariage (et les systèmes complexes de dots et d’accumulation du patrimoine au sein de familles choisies), bien plus génératrice du capitalisme que l’industrialiation de l’Europe au XIXème siècle (qui ne fût qu’un amplificateur au sein de la société bourgeoise triomphante) ; le rapport intime, mais aussi social ou sociétal en terme d’organisation politique à l’hétéronome, dont j’ai essayé d’esquisser quelques aspects dans « Naissance de la maladie moderne », etc…
Autre point essentiel, mais aussi controversé, l’apport des idées du « grand siècle » que les libéraux modernes et leur think tank se sont empressés de piller et de dévoyer dans leur entreprise de propagande. Notamment, la notion, déjà abondamment introduite par des gens comme La Rochefoucauld, d’intérêt. Véritable dynamitage de la pensée religieuse et cléricale de son époque, mais surtout très bonne grille de lecture de la manière dont fonctionne l’humanité. Pensée qui inspira les précurseurs de la déconstruction, mais aussi, via Nietzsche, le Petit-Père-de-l’inconscient ! Ce long détour pour dire qu’il y a quelque chose à creuser dans cette notion d’intérêt. Intérêt de chacun conjugué à l’intérêt de tous. Non dans le sens du libéralisme économique qui est obligé de réintroduire du religieux en postulant une « main invisible » hétéronome qui conduirait le destin humain vers le meilleur des mondes ou la « fin de l’Histoire » hégélienne, mais bien plutôt à travailler dans le sens de la coopération ou l’individu et le collectif sont respectés. Platoniciens, s’abstenir !…
Là où la lutte de classes engendre souvent de facto de la violence (qui, de toute façon était déjà contenue dans la violence d’État combattue), la coopération faite d’intérêts partagés en vue du bien commun défini et expériencé par tous devrait nous prémunir contre ce cercle vicieux de la violence que certains disent fondatrice de toute société humaine. Une réflexion sur ce thème pourrait déboucher sur une autre forme de réciprocité que celle propre à la violence : une éthique de la bonne réciprocité.
Non. Les français ne sont pas des veaux !
Jusques à quand nous laisserons-nous traiter ainsi ? Non, les français ne se désintéressent pas de la politique ! Ici et là des initiatives voient le jour, des hommes et des femmes se rassemblent, de plus en plus nombreux, résistent, mais aussi ébauchent des pistes pour la société de demain. Ils ne font certes pas la « Une » des journaux, ni des écrans « plats » !
Loin des regards et des feux médiatiques, se développent des pistes de propositions. C’est par exemple le sens du travail entrepris par Jean-Paul Lambert en compagnie de quelques autres sur le distributisme et, plus largement, l’Usologie politique [6]. Une hypothèse développée en vue de la mise en place d’une économie se passant résolument de l’obligation de réaliser des profits monétaires, socle de tout le fonctionnement du capitalisme financier moderne. Cette réflexion progresse vers des pistes qui pourraient nous aider à sortir des impasses actuelles de la gauche puissance 2, de l’écologie soluble dans le capitalisme vert et de l’anticapitalisme version « Canada dry© » !
1 On se rappellera ce qu’en pensait Emile Pouget (lire ou relire Emile Pouget, par Xose Ulla Quiben).
2 On assiste de nos jours à une véritable surenchère, à une montée des enjeux au Casino de la gauche de gauche. Mais, au final, rien de va plus !
3 Il nous faudrait une foi « qui déplace les montagnes », comme disait le va-nu-pied galiléen ! Utiliser le mot « foi », c’est mon côté, disons « nietzschéen », provocateur. Mais je ne renie pas ce mot-là.
À l’échelle de l’histoire de l’humanité, les comportements liés à la croyance, à la pensée magique et/ou religieuse sont infiniment plus nombreux, sur une étendue de temps infiniment plus longue que ceux induits par une pensée rationnelle.
Sur ce sujet, je me réfère volontiers à l’ami Cornélius Castoriadis qui, contre son maître Aristote et tout un pan de la pensée grecque, affirmait que l’Homme est un animal de croyance. Ce qui ne voulait, bien-sûr, pas dire pour lui, que c’était là le tout de l’Homme ni son accomplissement !
Ce qui signifie
également que je n’ai rien à redire à l’exergue « Je ne veux pas croire, je veux savoir » mis au fronton de notre beau journal !
4 Indignation également de voir se reproduire, entre les mains des mêmes petits-chefs épiciers d’arrière boutique, les éternelles méthodes surannées de aptation du génie colérique de toute une population dans les rets d’un pouvoir au sein d’organisations savamment ordonnancées et hiérarchiquement pré-établies.
5 Marx, mode d’emploi – texte de Daniel Bensaïd, dessins par Charb – éd. La découverte. /em>
6 Usologie : Mot formé à partir du latin usus, usage, et du grec logos, discours.
Science des usages définis comme façons de faire, de faire usage de, ou utiliser selon certains modèles ou formes, d’une manière répétitive ou non.
L’usologie politique met en observation la maîtrise des usages (institutions et pratiques) constitutifs des champs qualifiés de politiques. Cette maîtrise est brassée par deux contraintes : celle de la production de richesses et celle de leur distribution ou répartition.
La maîtrise de ces contraintes détermine un ensemble de décisions et de luttes incessantes aux plans économique et social. […]
(J-P Lambert)
Document(s) attaché(s) :
-
no attachment
Rate this entry
-1/5
- Note: -1
- Votes: 1
- Higher: 0
- Lower: -1