Émile Pouget par Xose Ulla Quiben
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Posted on Tuesday 19 May 2009, 18h00 - updated on 19/05/09 - Des livres - Permalink
La plume rouge et noire du Père Peinard, biographie de Pouget par Xose Ulla Quiben
« Je
le serine aux fistons qui ont du poil au ventre :
qu’ils
ne perdent de vue ni le présent, ni l’avenir.
De
la sorte, ils activeront la germination des idées galbeuses et de
l’esprit de rebiffe. »
Émile
Pouget,1911.
[1]
Difficile de rendre hommage à un ami. Alors, vous pensez… 2 !
Il fut aussi, avec les anarchistes d’avant la grande guerre, l’un de ceux qui ouvrirent la voie au syndicalisme révolutionnaire en fondant… la CGT.
En ces temps de syndicalisme frileux,
et cogestionnaire de la crise, il est bon de se rappeler également le théoricien du « sabottage » : « J’ai déjà eu l’occasion d’expliquer aux bons bougres ce qu’est le sabottage : c’est le tirage à cul conscient, c’est le ratage d’un boulot, c’est le coulage du patron… tout ça pratiqué en douce, sans faire de magnes, ni d’épates. »
Lui et son ami Paul Delesalle défendirent également le boycottage : « Le boycottage, en effet, est d’origine révolutionnaire. […] D’origine anglo-saxone : « On nous présente souvent les travailleurs anglais comme étant très peu révolutionnaires, c’est là une appréciation inexacte. Ainsi, dans cette campagne de boycottage, les employés usèrent des procédés révolutionnaires, tels que bris de matériels, prises d’assaut des magasins, etc.
Un jour, entre autres, les boycotteurs entrèrent dans un magasin de jambon, attrapèrent les victuailles et les jetèrent à la rue. Et ce ne fut pas isolé : bien d’autres actes de ce genre seraient à citer. Et c’est parce que les boycotteurs furent audacieux et énergiques que leur victoire leur resta ; depuis cette époque, une fois par semaine, entre trois et cinq heures de l’après-midi, les magasins de nouveauté et autres ferment leurs portes. » [6].
À une époque où le syndicalisme se dilue ou se dissout dans l’électoralisme et la représentativité,
alors que, dans un communiqué en date du 28 avril 2009, la CGT d’aujourd’hui appelle, je cite : « les salariés à voter pour des représentants à même de défendre les objectifs de progrès social au Parlement Européen », rappelons-nous le Pouget démontant avec ironie et humour, le système démocratique pratiqué actuellement, composé de délégation de notre pouvoir à des « représentants » :
« Supposez que je sois votard :
Le
dimanche que la gouvernance a choisi, à l’heure qu’elle a fixée
(sans, naturellement, me demander mon avis), je m’amène au bureau de
vote […]
Jusqu’ici,
tout votard que je sois, je ne suis pas plus souverain qu’un mouton
qu’on écorche.
Attendez,
ça va venir…
Dans
la tripotée de bulletins dont les distributeurs m’ont farci, j’en
pige un, que je roule en papillote.
Pourquoi
celui-là plutôt qu’un autre ?
Je
n’en sais foutre rien ! Le coco dont le nom est dessus m’est
inconnu ; je n’ai pas été aux réunions, ça me dégoûte ;
je n’ai pas lu les affiches, elles sont trop cannulantes… Quèque
ça fait, j’ai confiance !
Mais,
nom d’un foutre, ma souveraineté est toujours pucelle : j’en ai
pas encore joui.
Quoique
j’aie mon bulletin dans les pattes, tout prêt à être enfourné
dans l’urne, je ne suis pas encore souverain ! Je ne suis qu’une
belle pochetée que la gouvernance tient sous sa coupe, que les
patrons exploitent ferme et que les sergots [7]
font circuler à coups de renfoncements quand il m’arrive
d’être attroupé.
Ne
désespérons pas ! je serai souverain.
J’avance…
Enfin mon tour arrive ! Je montre ma carte, car je suis en
carte ; on ne peut pas être souverain sans être en carte.
Maintenant,
j’ai des fourmis dans les doigts de pied : c’est sérieux,
évidemment le moment psychologique approche, j’allonge la patte ;
je tiens ma papillote entre les deux doigts, le pouce et le
chahuteur.
Eh
là, reluquez ma tronche !
Quelle
scie qu’il n’y ait pas un photographe…
Une…
deusse… Je vais être souverain !
Juste
à la seconde précise où j’ouvrirai mon pouce et mon chahuteur…
juste au moment où la papillote sera lâchée, j’userais de mes
facultés de souverain.
Mais,
à peine aurai-je lâché mon chiffon de papier que, bernique, y aura
plus rien ! Ma souveraineté se sera évanouie !
Dès
lors, me voilà redevenu ce que j’étais il y a deux secondes :
une simple niguedouille, une grande pochetée, un votard culcul, un
cracheur d’impôts.
Sur
ce, la farce est jouée ! Tirons le rideau…
J’ai
été réellement souverain une seconde ; je le serai le même
laps de temps dans quatre ans d’ici.
Or,
je ne commence à user de cette roupie souveraine qu’à l’âge
raisonnable de 21 ans, c’est un acte si sérieux qu’il y aurait
bougrement de danger à me le laisser accomplir plus tôt, c’est les
dirigeants qui le disent, et ils s’y connaissent !
Une
supposition que je moisisse sur terre jusqu’à la centaine : le
jour où j’avalerai mon tire-pied, j’aurai donc quatre-vingts ans de
souveraineté dans la peau, à raison d’une seconde tous les quatre
ans, ça nous fait le total faramineux de vingt secondes…
Pour
être large, – en tenant compte des ballottages, des élections
municipales, des trouducuteries électorales qui pourraient se
produire, mettons cinq minutes !… […]
Hein,
les bons bougres, voulez-vous m’indiquer une bourde plus gigantesque,
une fumisterie plus carabinée, une couleuvre à avaler, plus grosse
que le serpent boa de la souveraineté populaire ? » [8]
Le parlementarisme n’a pas non plus la faveur du Père Peinard :
« Quand
à espérer s’enquiller dans la mécanique gouvernementale, de
manière à se rendre utile au populo, c’est un rêve de maboules et
d’ambitieux.
C’est
un sale truc que de se foutre tout rond dans un marécage
pestilentiel pour se guérir des fièvres. C’est comme Gribouille qui
se fichait à la Seine pour ne pas se mouiller.
D’ailleurs,
on a été assez salement échaudés par des bouffe-galette [9]
qui parlaient au nom du peuple pour être guéris de la
maladie votarde.
De
tous les types qui avaient du poil au ventre, alors qu’ils étaient
au milieu du populo, combien y en a-t-il qui, une fois élus députés,
sont restés propres ? […]
Quant
à ceux qui ne sont pas pourris complètement, ils ont pris du ventre
et se sont bougrement ramollis. »
Il n’y a donc pas de temps à perdre dans les élections.
Le
7° Congrès National de la Fédération des Syndicats Ouvriers, tenu
à Limoges en septembre 1895, avait décidé de la création d’un
Confédération Générale du Travail (CGT). Les statuts
précisaient : « Les éléments constituants la CGT
devront se tenir en dehors de toute école politique. »
Rappelons
également que la Charte d’Amiens, acte constitutif de la CGT,
comprenait dans son préambule des notions bien oubliées de nos
jours :
«
Le Congrès confédéral d’Amiens confirme l’article 2,
constitutif de la CGT : la CGT groupe, en dehors de toute école
politique, tous les travailleurs conscients de la lutte à mener pour
la disparition du salariat et du patronat. »
On
peut lire également dans ce même texte :
« [Le
syndicalisme] prépare l’émancipation intégrale, qui ne
peut se réaliser que par l’expropriation capitaliste…
Il
préconise comme moyen d’action la grève générale et il
considère que le syndicat, aujourd’hui groupement de résistance,
sera, dans l’avenir, le groupe de production et de répartition,
base de réorganisation sociale. »
Autant de principes fondateurs et d’objectifs abandonnés aujourd’hui au bénéfice d’une pensée essentiellement électoraliste en vue d’établir la suprématie « représentative » entre syndicats divisés pour le plus grand bénéfice de l’État et du système capitaliste.
Non,
il n’y a rien à espérer
dans
ce cadre et la première des exigences de l’honnêteté serait de le
reconnaître et d’en tirer les conséquences logiques !
« Maintenant,
il n’y a plus d’espoir que la crise s’atténue, ni qu’elle
soit conjurée, grâce à des palliatifs ou des demi-mesures. Toute
conciliation est devenue impossible. La guerre de classes est
déclarée et elle s’annonce farouche, implacable. Les ennemis sont
face à face et nulle paix n’est à prévoir, hormis quand l’un
des deux adversaires sera terrassé, écrasé, broyé.
Ce
n’est pas à coups de canon que la classe ouvrière a ouvert le feu
contre la Bourgeoisie. C’est par un acte formidable et simple :
en se croisant les bras. Or, à peine ce geste est-il esquissé que
voici le capitalisme secoué par les spasmes symptomatiques de
l’agonie. C’est preuve qu’il en est du corps social comme du
corps humain : tout arrêt de fonctionnement, de circulation lui
est préjudiciable et néfaste.
Heureux
présage pour les grève-généralistes ! c’est
l’encouragement à persévérer, la certitude du triomphe proche…
»[10]
Et Pouget de préciser, dans le texte « Le sabottage », « L’État est un organe parasitaire. Le groupe corporatif au contraire, au lieu d’être une superfédération est simplement une agrégation de bons bougres qui souffrent de l’exploitation ; ils s’y amènent pour être en contact avec des camarades, pour s’y instructionner et dénicher un remède à leur mistoufle. »
* * *
Xose Ulla Quiben, [11]
l’auteur de cette biographie d’Émile Pouget est d’origine galicienne. Il exerce le métier d’instituteur et directeur de l’école de Montlaur dans l’Aveyron (terre natale de Pouget, où il a mené ses recherches en vue de ce livre). Il fait partie de ces directeurs désobéissants et refuzniks opposés au fichage des enfants dès leur entrée en maternelle dans un fichier informatique centralisé, circulant via Internet, nommé « Base-élèves ». Il est un des membres fondateurs du Collectif National de Résistance à Base-Élèves (CNRBE).
Josef s’inscrit totalement dans la lignée de ses ancêtres espagnols et dans la fidélité aux idées et principes colportés par les communeux et leurs continuateurs. Laissons-lui la parole pour terminer :
« Pour
le centenaire de la Charte d’Amiens, véritable manifeste de
désobéissance civile et syndicale, droits du syndicaliste et du
citoyen, dont Pouget est un des pères, il me semblait opportun de
rappeler son parcours, et de donner envie de découvrir ses textes,
ses mots qui, bien qu’écrits depuis plus d’un siècle, n’ont rien
perdu de leur actualité, ni de leur pertinence. »
1 Les
citations contenues dans cet article seront tirées du livre cité.
2 Publié
en 2006 aux Éditions
libertaires, 35,
allée de l’Angle, Chaucre 17190 St-Georges d’Oléron.
3 Misère.
4 Députés.
5 Chambre
des députés, Assemblée nationale.
6 Rapport
de la Commission sur le Boycottage publié dans le Père Peinard
du 3 octobre 1897.
7 Policiers.
8 Dans
un article nommé « Le muselage universel ».
9 Député.
10
Extrait du roman : « Comment nous ferons la Révolution »
Chap. VII. — La grève offensive commence d’Émile Pataud &
Émile Pouget.
11 Né
en Galice. À son arrivée en France, il portera le nom « francisé »
de Josef Ulla.
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