Les peuples essaient, les théoriciens transforment
- Article par Geneviève Confort-Sabathé
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Posted on Monday 23 March 2009, 06h00 - updated on 23/03/09 - Édito - Permalink
Contrairement à l’idée communément admise, ce sont rarement les théoriciens, même bourrés de talent et bourrelés de remords d’appartenir à la classe dirigeante, qui provoquent, par la brillance de leurs intuitions, les révolutions à venir.
Si l’on s’en tient aux exemples fameux des bouleversements du passé, on se rend compte que leurs prémices avaient pris corps dans les comportements populaires. La plupart du temps, les théoriciens sont à la ramasse, ils courent derrière l’évolution anarchique des hommes en tentant de cacher leur retard par un langage abscons et des philosophies emberlificotées.
Prenons le cas de la grève générale reconductible. De bouleversantes théories doutent de son efficacité en ces périodes de crise économique. Des experts du MEDEF tentent de nous culpabiliser. Mais si nous sommes convaincus que l’avenir vient en marchant, nous ne nous laisserons pas abuser et nous l’expérimenterons cette arme redoutable de la grève illimitée.
Le recours systématique à l’expertise théorique est une technique de survie pour ceux qui se sont distribués les richesses du monde comme des bonbons et voudraient continuer à faire croire aux peuples que cette « distribution » est normale, quasiment inscrite dans la nature des choses. Mais les experts ne sont jamais que des théoriciens…qui se sont vendus à leurs maîtres.
Prenons le cas des comportements moraux et sexuels, les gens s’adaptent à ce qui constitue l’ordinaire de leur vie et n’attendent pas l’accord des magistères de l’Université ou des différentes chapelles pour savoir s’il est juste de faire ceci ou cela. Les gens, comme vous et moi, agissent. Ils font des révolutions intimes, quotidiennes, discrètes. Des révolutions à bas bruit qui sont autant de formes de résistance à l’idéologie dominante.
L’économie n’est pas en reste. Les relations d’entraide, de partage s’organisent, souvent au cœur de la famille mais aussi de la famille élargie, celle des amis, des communautés. La crise de 2009 aura montré, avec acuité, la puissance de ces forces de solidarité.
Mais alors, à quoi servent les théoriciens ? La réponse est, à la fois, très simple et très compliquée : les théories rendent le monde intelligible, cohérent et évident à ceux qui le font sans s’en rendre compte. Les peuples font l’Histoire mais n’en ont la conscience qu’en présence de la théorie qui justifie leurs actions légitimes. Les peuples expérimentent, les théoriciens trouvent les raisons de perpétuer l’expérience. S’ils sont honnêtes, ils aiguiseront leurs grilles de lecture et rendront un travail passionnant et argumenté. S’ils sont malhonnêtes, ils transformeront le réel au bénéfice d’une vision magique au bénéfice de quelques uns.
Impossible, pourtant, pour des théoriciens, même dotés des plus grands pouvoirs médiatiques, de diffuser une petite musique hostile à la volonté des peuples. Pour circonvenir les masses populaires, il faut au minimum, la complicité d’une frange significative de l’opinion, dévolue à légitimer la pensée unique. Et même, dans ce cas, l’inclination du peuple vers « sa » vérité finira par gagner. C’est une question de temps.
Actuellement, la pensée néolibérale a du plomb dans l’aile. Et ce n’est pas récent. Depuis vingt ans, chaque fois que les instituts de sondage interrogent les Français sur les services publics, nos concitoyens attestent de leur profond attachement à ce « modèle social » que la pensée unique a tenté, par tous les moyens, de rendre ringard.
Rien n’y a fait. Les dérives sémantiques ont beau avoir été reprises en boucle par les officines médiatiques, faisant passer les « protections sociales » pour des « charges patronales », les Français sont restés de glace. Les pouvoirs publics, de droite comme de gauche, ont voulu faire adopter un Traité européen qui entérine et organise leur disparition. Chou blanc. 55% des Français ont refusé le diktat de la « concurrence libre et non faussée ».
Les services publics ont été accusés de creuser, creuser, creuser… des trous innombrables, tous plus profonds les uns que les autres. Le trou de la sécu, celui de la dette publique… Bref, les services publics, c’était le diable ! Les Français laissaient dire mais n’en croyaient pas un mot. En ce moment, ils jubilent d’entendre des économistes néolibéraux et anglo-saxons reconnaître que la France s’en sort plutôt mieux que ses voisins grâce aux affreux services publics (un emploi sur cinq en France).
Donc, les peuples expérimentent de quoi demain sera fait, d’une manière à la fois naïve et hasardeuse. Cette merveilleuse ingénuité, qui relève du « Don d’Adèle », comporte un inconvénient. Comme les peuples ne devinent que, confusément, la valeur historique de leurs expériences, ils leur arrivent assez souvent de ne pas se sentir prêts pour la grande Aventure, le grand Dessein, la Révolution.
Ou plus exactement, les peuples ne savent pas qu’ils sont prêts mais quand ils le découvrent, rien ne peut les arrêter. La crise de 2009 lève le voile sur des années de dérégulation et de destruction des protections sociales. Il est temps d’expérimenter l’efficacité du coup de balai. Virons les élites engraissées. On théorisera après !
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C.Laborde · 23 March 2009, 10h26
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Une vision sans action est un rêve – une action sans vision est un cauchemar
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Ignatius · 23 March 2009, 18h19
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Combien de “divisions” dans les masses populaires pour réussir la révolution néolibérale dont nous subissons aujourd’hui peut-être la défaite ?
Je serais curieux de savoir quels “comportements populaires” étaient les prémices de cette révolution conservatrice et néolibérale ?
Bref, retenons comme leçon de l’histoire que les théoriciens ont toujours inventé “les masses” dont ils veulent être les porte-parole, fût-ce pour appeler à la grève générale.
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Geneviève Confort-Sabathé · 23 March 2009, 19h17
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Les comportements populaires qui ont conduit à la révolution néo-libérale sont faciles à dénoncer: l’individualisme forcené et la propriété privée. Certains soixante-huitards ont d’ailleurs plongé dans les deux comportements avec délice comme l’a bien démontré Guy Hocquenghem dans son ouvrage “Lettre ouverte à ceux qui sont passés du col Mao au Rotary”.
Ignatius, ou quel que soit ton nom, ta dernière phrase fleure bon le règlement de comptes, je te laisse l’assumer.
Concernant la première intervention de C. Laborde, la grève générale est à la fois une action et une vision. La Révolution française était une grande grève générale, plutôt réussie côté vision. La Commune aussi avait une vision mais les “tièdes” ont encore une fois fait défaut. -
C.Laborde · 24 March 2009, 19h06
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Assimiler la Révolution Française à une grève générale, c’est assez fumeux comme le fait d’oublier tous les grands penseurs qui ont précédé le mouvement. Sans eux la prise de la Bastille n’aurait été qu’une émeute de plus sans lendemain.
Il y a autant de vision dans une grève, fut-elle générale, que dans un discours de Sarkozy.
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Le Père Peinard · 01 April 2009, 00h34
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In mémoriam Althusser !
Il y a une lutte des classes dans la théorie qui se manifeste dans les appareils idéologiques d’état.
Comme l’Université ou Normale Sup.
Madame Althusser en a fait la cruelle expérience !
Ses derniers mots : “Althusser trop…”