Vieilles urgences
- Article par Éric Jousse
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Posted on Sunday 23 November 2008, 10h00 - updated on 23/11/08 - Édito - Permalink
Les exemples ne manquent pas surtout à l’approche de nouvelles élections. Encore récemment, Yannick Jadot, ex-Greenpeace entré en politique chez les Verts après avoir été floué par le Sarko-grenelle de l’environnement, a annoncé au cours d’une intervention en vue des élections européennes de 2009 que son parti voulait « coaliser tous ceux qui se retrouveront sur l’urgence écologique, sociale et démocratique ». L’urgence, nous dit le dictionnaire, c’est une situation à laquelle on doit remédier… sans délai.
Mises à jour :
15/05/2008 : Denis Pingaud, vice-président exécutif d’Opinion Way (strategies.fr)
24/08/2010 : Eva Joly : une candidature “Opinionway” ? (arretsurimages.net)
De l’urgence à l’unité…
On connaît la ficelle propagandiste des appels en «urgence» qui
veulent discipliner des forces disparates. Quand elle apparaît en dehors
d’un contexte ad hoc, l’urgence devient une métaphore prête à servir
d’outil d’aliénation.
On trouvera pléthore de témoignages pour dire
combien cette injonction fut nuisible à la seule campagne présidentielle
«unitaire» s’il en fut, soutenue par les collectifs du même nom. Elle
scandait qu’«un autre monde est possible» à grand renfort de
coquelicots. Des crysanthèmes en fait.
Pilotée par un petit groupe
de personnalités issues d’appareils de la gauche de gauche écolo ou
anticapitaliste (1), la campagne des «antilibéraux» se voulait
alternative et populaire. En réalité elle fut anti-démocratique,
poussive et confidentielle, au contraire de la collecte de parrainages
citoyens (2) qui l’a rendue possible.
Unisavecbove.org et les 43000
signataires voulaient d’une autre campagne, «festive et rebelle» comme
prévue initialement. Elle devait être portée par un autre slogan : un
autre monde est en marche. Mais des faussaires auront usé et même abusé
de l’urgence permanente, à première vue pour motiver les troupes et plus
sûrement pour étouffer un message semble t-il devenu gênant : possible
oui, en marche : stop !
Le jour même de l’officialisation de la
candidature «Bové», un nouveau site (josebove2007.org) fut créé et la
candidature unitaire ruinée. Résultat : 1,32% (483 076 voix). Un
véritable fiasco marketé en coulisse en 2007 par ceux-là même qui
portent une responsabilité dans l’échec d’avril 2002.
«Un autre monde
est en marche» ? Assurément ! Il suffisait d’allumer le poste et de
s’installer confortablement, votre temps de cerveau disponible embrumé
par la mousse des produits Ushuaïa, pour voir combien il courait déjà,
la gauche rouge-verte derrière et lui, devant les caméras.
Urgences ! What else ?
C’est donc une opération «Grenelle 2» qui s’annonce avec ce projet de
liste des écologistes réunis. Nous trouvons-nous dans les meilleures
dispositions pour prendre nos responsabilités citoyennes quand un doigt
inquisiteur nous enjoint de rallier toujours les mêmes ? Que nous est-il
donné d’espérer alors que les méthodes restent antédiluviennes ?
Toutes
ces urgences invoquées n’en sont plus depuis longtemps. Il suffit de
considérer leur ancienneté. Toutes ces urgences toutes plus urgentes les
unes que les autres font des gens de bonne volonté, citoyens actifs,
militants sincères et volontaires, de bien piètres brancardiers.
En
réalité, nous avons à faire à un processus ancien, complexe et lourd de
dénaturation de la vie, amplifié depuis 30 ans par la globalisation
d’une économie délirante, une machine systémique désormais entrée en
phase d’autodestruction. Au nom d’un «salut» minimal de la planète au
service de quelques priviligiés, un néocapitalisme «Gore» s’apprête à
regarder effrontément mourir son humanité.
On ne l’arrêtera pas
facilement, nous le savons bien. Et pourtant, on invoque sans désarmer
le vocabulaire de la trousse de secours. Est ce bien ainsi, dans
l’urgence encore, dans l’urgence toujours, que l’on peut arrêter un
ouragan comme Katrina, la crise financière des «subcrimes» et suites, la
fonte d’un énième glacier du Groenland ou du Tibet, la disparition de
dizaines d’espèces animales ou végétales et partant l’effondrement de la
biodiversité, les guerres de l’eau, les guerres pour le pétrole et les
cités qui s’enflamment ?
Se débarrasser de ce fantasme du bel
urgentiste incarné par George Clooney dans la série «Emergency» prêt à
tailler la chair du seul geste qui sauve, ne veut pas dire pour autant
qu’il faille nier ce phénomène à la fois de convergence et d’emballement
des catastrophes dont nous sommes les témoins avertis et par trop
incrédules.
Contre cette métaphorisation qui enterre la nécessaire
prise de conscience politique sous l’angoisse légitime de lendemains qui
déchantent, nous, peuples terriens, n’avons pas d’autres choix que de
trouver les ressorts d’une réappropriation du cours de l’histoire.
Il
existe des alternatives plus efficaces et plus durables que la
prédation et il n’y a pas de fin de l’histoire qui tienne tant que nous
sommes vivants.
Démocratie ? D’urgence !
Confronté à l’échec de la financiarisation de l’économie, les
financiers réclament maintenant la nationalisation de leurs dettes et,
sous couvert d’urgence bien entendu, les politiciens promettent un
retour du politique… pour les éponger. Des politiques de choc en
l’occurrence (3). De ce point de vue, le discours de Toulon augure d’une
sarkocratie aggravée où «prendre ses responsabilités» équivaut à
décider chaque jour un peu plus loin des peuples.
Pouvoir répondre à
cette menace exige une audace sans précédent, une autre analyse et
d’autres moyens que ceux adoptés par l’urgentisme ambiant. Il ne s’agit
plus de repousser les débats de fond au profit d’urgences médiatiques
sous prétexte d’élections à venir.
Il s’agit de déployer la
démocratie sans attendre ni le matin du grand soir ni l’avènement d’un
leader, homme ou femme providentiel, fut-il issu de la gauche de gauche.
La seule prise de conscience en marche n’y suffira pas. Une véritable
bataille pour reconquérir des espaces de liberté et de solidarité doit
mobiliser le plus grand nombre.
Certes il faut faire vite, mais il
faut aussi faire mouche. Nous lèverons les hypothèques posées sur notre
avenir, à n’en pas douter. La démocratie, la laïcité comme la modernité
n’ont rien de commun avec le «dernier cri» du bling-bling.
- José Bové tente de structurer ses réseaux politiques pour 2007
(…) Christophe Aguiton, du syndicat SUD, Yves Salesse, président de la Fondation Copernic, Francine Bavay, des Verts, et Denis Pingaud, proche de Laurent Fabius, vont s’efforcer de structurer une équipe de campagne. Article paru dans l’édition du 25.06.06.
http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0,36-787628,0.html - Relayés par les médias sous le nom de «pétition Bové», plus de 43 000 «parrainages citoyens» recueillis contre toute attente en 10 semaines, ont permis de relancer la candidature unitaire aux Présidentielles de 2007.
- La stratégie du choc - La montée d’un capitalisme du désastre, Naomi Klein, Leméac/Acte Sud, 2008.
- «Démocratie, direct !», par Minga à paraître dans Le Sarkophage.

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