La transition autoritaire
- Article par Yann Fiévet
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Posted on Saturday 27 June 2009, 06h00 - updated on 27/06/09 - Édito - Permalink
Après une décennie de développement exacerbé du discours sécuritaire, nourri en France par des gouvernements de colorations différentes, le moment est venu de passer à l’étape suivante, celle du recueil des fruits généreux du nouveau gouvernement des citoyens par l’instrumentation de la peur savamment instillée aux tréfonds des esprits les moins critiques. Après les semailles sécuritaires voici enfin, pour la Droite débarrassée de tout état d’âme, le temps de la moisson autoritaire.
Le sentiment d’insécurité est aujourd’hui le point central du débat politique. Là se situe l’origine d’une dérive qui pourrait s’avérer fatale. Ce processus repose entièrement sur la confusion abondamment entretenue et instrumentalisée entre insécurité, phénomène relativement objectif car observable, et sentiment d’insécurité, phénomène essentiellement subjectif. Les hommes politiques, en particulier les élus locaux, n’ont que peu de prise sur l’insécurité qui très souvent se caractérise par de simples incivilités mais ils peuvent agir en revanche avec profit électoral sur le sentiment d’insécurité en suscitant de multiples peurs. Ils ne s’en sont pas privés, à gauche comme à droite. Le lien entre incivilités et sentiment d’insécurité s’est finalement imposé dans tout débat politique ou médiatique. Dans ce contexte dramatiquement irresponsable, la classe politique a poussé sur le devant de la scène une cohorte disparate d’ennemis de l’intérieur désignés à « l’opinion » comme les vrais responsables du délitement du tissu social et de l’intégrité républicaine. Ainsi, la figure de l’ordre intérieur a fini par se réduire à la guerre contre les franges dangereuses que représentent les banlieues honteusement livrées à leur dérive, les jeunes de « la racaille », les clandestins ayant l’outrecuidance de ne pas attendre patiemment d’être choisis, l’ultra-gauche paisiblement rassemblée autour d’une « bizarre » épicerie du plateau de Millevaches…
Face à de si nombreux ennemis, il faut agir promptement et sans faiblesse. La posture sécuritaire ne suffit plus. Elle va se muer en posture autoritaire. L’usage que « l’appareil » pénal fait de l’ensemble des possibilités répressives que lui offre la loi en est la preuve. Le nombre de gardes à vue n’a jamais été aussi élevé : 578 000 personnes, résidant en France et âgées de plus de 13 ans, ont été placées dans cette inconfortable situation en 2008. Le nombre impressionnant d’incriminations pour outrage à agent de la force publique connaît lui aussi une croissance exponentielle. Les prélèvements d’ADN sont devenus monnaie courante dans les milieux militants, qu’il s’agisse des faucheurs de maïs transgéniques ou de jeunes « anti-Otan », sans oublier les étudiants. La catégorie de « délinquant » s’est particulièrement étendue, grâce au déploiement du filet pénal rendu possible par la levée d’inhibition que le « 11 Septembre » a constitué dans l’escalade des politiques de sécurité. La logique du risque, développée par Nicolas Sarkozy et ses plus fervents lieutenants, ne s’intéresse plus seulement aux délinquants, mais à tous les présumés délinquants, tous venant gonfler les innombrables fichiers informatiques devenus incontrôlables. La loi sur la rétention de sûreté qui vise à maintenir enfermés des criminels ayant purgé leur peine mais considérés comme « potentiellement dangereux », est l’une des plus fortes illustrations de la transition autoritaire. Tout ce fatras répressif est placé sous les auspices de la sécurité promue premier des droits. Telle est la racine de la dérive liberticide.
Le pire est alors prévisible. Notre ministre de l’Intérieur prépare discrètement un texte fondé sur un projet de loi signé du Premier ministre et du ministre de la Défense, prêt depuis le mois d’octobre 2008. Il s’agit de la loi 1216 de programmation militaire pour la période 2009-2014 : un texte presque anodin s’il ne prévoyait, dans son article 5, de redéfinir tout ce qui touche à la sécurité intérieure. Une fois la loi votée, le texte « secret » de MAM autorisera la publication de divers décrets permettant de poursuivre, entre autres, les militants écologistes et associatifs lorsque, par leurs actions, écrits ou propos, ils mettront en cause « les intérêts de l’État ». Ces intérêts comprendraient notamment ce qui concerne les centrales, les transports et le stockage des déchets nucléaires, mais également les implantations industrielles classées « Seveso ». Ce texte aurait aussi comme conséquence d’aggraver les peines encourues par les faucheurs d’OGM, car il permettrait de poursuivre les individus et les associations mettant en cause les intérêts économiques stratégiques du pays.
La transition autoritaire n’est par définition qu’un passage vers un autre état susceptible d’être plus terrible encore. En combattre les manifestations est un devoir. En comprendre les racines est une nécessité. Opposer à cette vision du monde mortifère la perspective globale d’une autre manière de « faire société » est un impératif absolu. « Ceux qui abandonnent une liberté essentielle pour une sécurité minime et temporaire ne méritent ni la liberté, ni la sécurité », disait Benjamin Franklin. Comme il parlait d’or ! Saurons-nous nous protéger des orages annoncés ? Aurons-nous la force de nous débarrasser des hommes et des femmes de pouvoir qui, par un rabougrissement de la pensée politique, se déshonorent et nous déshonorent tout à la fois ? Hélas, il semble que pour l’heure beaucoup « d’honnêtes citoyens » choisissent la valse-hésitation !
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Anne-F · 27 June 2009, 12h04
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à lire sur ce sujet: http://www.politis.fr/article7307.h…
” Au nom de la sécurité nationale, le décret en préparation permettrait donc de placer sous la protection de cette dernière toutes les actions et informations liées, par exemple, à l’environnement et aux infrastructures contestées par les associations de protecteurs de la nature et les organisations écologistes. De la même façon, tout ce qui concerne le changement climatique pourra entrer dans les informations classifiées interdites de divulgation. Classification qui, d’une part, sera bien entendu à la discrétion souveraine du gouvernement en place et qui, d’autre part, sera opposable à la fois aux militants, aux associations et aux juges d’instruction. S’ils existent encore.
Les écolos ne sont bien sûr pas les seuls visés:ce texte à tout faire permettrait de poursuivre tous les agissements « déviants ».
Les élus se disent lassés des remises en cause de permis de construire ou des tracés de routes. Depuis plusieurs années, les associations de maires demandent au gouvernement une restriction de la contestation « administrative » pour abus de pouvoir et non-respect des règles d’enquête publiques. En oubliant de rappeler que le recours aux tribunaux administratifs est souvent la seule arme des écologistes et des associations de protection de la nature……”
Écrivons ce que nous pensons tant qu’il en est encore temps !
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gd · 03 July 2009, 19h56
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La dérive sécuritaire me paraît la dérive le risque le plus grave des politiques actuelles. Elle donne l’impression à une majorité de la population d’être protégée, jusqu’au jour où toute liberté d’expression disparaît. Même si, dans l’exercice actuel du pouvoir, les ministres n’ont qu’un rôle limité, il est symptomatique que les deux ministères qui s’occupent sécurité, intérieur et justice, viennent d’être confiés à des faucons.
Mais une fois cela dit, que peut-on faire ?
gd
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Anne · 04 July 2009, 10h12
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J’admire, la douce violence de ce “power soft” par laquelle il réussit à nous faire admettre tout et n’importe quoi, au rang desquelles nos libertés essentielles. C’est dans la norme et on en redemande.Mais qui va s’intéresser à ccela quand les problèmes les plus tenaces et vitaux ne sont pas pris en compte : le prix du pain tout simplement, celui des fruits et bien d’autres choses élémentaires !
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Anne-F · 06 July 2009, 02h52
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Que peut-on faire? qui va s’intéresser à cela?
Anne, gd baisser les bras, être défaitistes, se dire: de toute façon, ils font passer ce qu’ils veulent…. même si c’est trop souvent le cas, ne résout rien non plus. Qui est au courant de ce projet? Les médias l’ont-ils abordé? Pas à ma connaissance, une des premières chose à faire est de diffuser, de faire savoir, les gens ne sont pas prêts à voir leurs libertés essentielles se réduire à une peau de chagrin, les OGM ne sont pas acceptés, le fichier “edvige” pas apprécié de bien des français, la retraite à 67 ans, le travail dominical,n’en parlons pas!
Quant au prix des denrées, commencer par court-circuiter les grands réseaux de distribution, privilégier autant que possible les productions locales, les coop, ça ne revient pas plus cher car souvent on évite d’acheter plein de “cochonneries” inutiles, changer son comportement de consommateur, ne pas changer son portable à chaque nouveauté dt on ne servira jamais, ne pas se laisser tenter par le marketing, attaquer nous aussi là où ça fait mal, leur fait mal (les sous!). partager les alternatives, pour que grandisse le nombre de personnes à faire un pas de côté. Que s’étendent le sentiment de vouloir vivre autrement, que c’est possible. alors, oui, pas de “grand soir” mais des changements subtils ici, là, ailleurs… Pas pour demain? Trop long? Allez savoir? Le ras-le -bol se fait sentir un peu partout, soyons de plus en plus nombreux à le dire, à le faire, à donner à voir d’autres façons de vivre, avons-nous le choix? La leur, celle qu’ils nous imposent est invivable!