Compliqué ou complexe ?
- Article par Éric Jousse
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Posted on Thursday 05 May 2011, 06h00 - updated on 16/02/12 - Bon à savoir - Permalink
Tout serait devenu compliqué nous dit-on. Serait-ce réellement l’état du monde dans lequel nous vivons ? N’est ce pas plutôt que ce qui nous apparaît désormais comme tel serait soit le produit d’une perception erronée par les uns ou travestie par d’autres ?
Ce qui fait le monde, au-delà de ce que nos sens nous donne à percevoir, il y a cet entrelacs de réalités imperceptibles autrement que par l’analyse et la compréhension fine des rapports divers et nombreux qui relient les êtres et les choses. Toute cette complexité de liens que nos cultures occidentales n’ont pas su prendre réellement en compte et traduire dans la pensée courante est en vérité mal-perçue voire même ignorée.
Rien à voir ici avec ce que l’on pourrait associer au mystique. Pour
autant, toute une part de notre réalité quotidienne est laissée pour
compte par l’agir politique comme par la parole médiatique, les deux se
disent pourtant épris de démocratie. Les discours médiatisés en ont même
en horreur : cela prendrait bien trop de temps. On a en conséquence
coutume de travestir le complexe en compliqué et chacun sait que ce qui
est compliqué n’est pas explicable dans le temps médiatique “qui nous
est imparti” ce qui revient à dire qu’il est des savoirs qui sont
réservés parce qu’inappropriables par tout à chacun.
Ainsi la
modernité héritée des Lumières a laissé place au savoir capté par ceux
pour qui le complexe ne serait pas compliqué rejetant ainsi le grand
nombre dans cette impuissance nourrie à la fois d’incompris, de
mystérieux et finalement de ce que l’on tient trop souvent pour secret
voire même au secret comme les secrets d’Etat.
Nous avons ici
l’ambition d’en discuter la logique et le fait accompli en commençant
par une petite réflexion sur l’étymologie des mots qui nous occupent :
compliqué et complexe.
- Plicare qui veut dire plier a donné les deux verbes explicare et son contraire complicare.
- Explicare signifie littéralement déplier, déployer soit exposer clairement comme on prendrait une boule de papier froissée et que l’on déplierait puis qu’on lisserait avec soin sur un plan pour faire apparaître intégralement ce qui s’y trouverait inscrit.
- Complicare à l’inverse signifie littéralement plier en enroulant plus qu’en froissant à l’occasion pour ranger, remiser, classer mais plus sûrement pour dissimuler voire, comme on dirait de nos jours, en prenant le risque de l’embrouille.
- Si “relation” désigne ce qui relie (donne “lien” mais aussi “religion”), “complexe” désigne ce qui est relié, tissé, tramé, intriqué.
Il en est différemment quand il s’agit du complexe qui a pour trait commun avec le compliqué la multiplicité des éléments à considérer. Mais, si l’exposé d’une situation complexe peut-être à dessein ou par maladresse compliqué, il est plus difficile d’accomplir l’inverse à savoir de complexifier ce qui est déjà compliqué.
En effet, si le compliqué enroule le propos au lieu de le déplier pour remiser mais aussi pour dissimuler, le complexe, ce “composé d’éléments qui entretiennent des rapports nombreux, diversifiés”, s’il est “difficile à saisir par l’esprit et présente souvent des aspects différents”, il n’est pas par nature fait pour embrouiller, dissimuler ou mentir mais pour décrire au plus près le réel.
Dans une approche affinée de la comparaison entre compliqué et complexe, on peut aller jusqu’à trouver un trait de ressemblance que pourrait désigner l’obscure, le confus, l’énigmatique, le vague, le difficile, l’inintelligible, l’incompréhensible, toute sorte de qualificatifs décrivant ce qui pourrait d’une part être mystérieux voire secret jusqu’à vouloir dire d’autre part, embrouillé et caché, embrouillé pour être caché.Si la complexité a parfois à voir avec le secret ou le mystère tant la réalité à décrire est éloignée des évidences et que le complexe repose sur une réalité qui ne doit rien au remisage des rouleaux de parchemins, à la dissimulation des informations ou des savoirs c’est parce qu’elle exige une description fine du monde ou des mondes possibles qui pour certains - scientifiques, économistes, politiciens - vaut bien qu’on se donne la peine d’ “enrouler” ses exposés descriptifs et ses discours pour mieux dissimuler et se réserver ce qu’il y a de simple, d’abordable mais aussi de puissant dans le complexe.
“Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement”… est un adage qui vaut aussi quand il s’agit de complexité. Encore faut-il en avoir l’esprit, la clairvoyance et les clefs de lecture pour y parvenir.
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