Contre le vote FN, un autre communisme
- Article par Fabrice Flipo
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Posted on Wednesday 30 October 2013, 12h00 - updated on 20/06/15 - Essais - Permalink
La popularité du Front National s’étend sondage après sondage. Face à l’impuissance de la gauche, coupée des pauvres, il est temps de réinventer le communisme.
Les gens qui votent FN sont dans une configuration dominée non pas par la lutte des classes mais par la lutte contre la rente. Pour eux, l’État et les services publics les ont abandonnés: Pôle Emploi ne leur sert à rien, les syndicats ne les aident pas, d’ailleurs ils sont souvent dans des activités où il n’y en a pas, et ils vivent comme une évidence le fait que l’école serve la reproduction sociale. Exemple concret: la famille d’immigrés de deuxième génération ou de « Français de souche » (comme ils s’appellent eux-mêmes) qui ne peut plus habiter à Paris, voit les classes moyennes parasiter le logement social de Paris (qui ne l’est donc plus), subit des contrôles au faciès ou des amendes élevées (par rapport à leurs revenus) pour excès de vitesse, la menace de la hausse du gasoil, etc. Le privé ne les aide pas non plus : exploitation du travail, chômage, métiers sales et dangereux. À leur niveau il n’y a pas plus à espérer de l’un ou de l’autre, donc tout discours qui idéalise l’un ou l’autre ne peut être considéré comme crédible.
L’argumentation anti-FN qui prend la finance pour cible n’a donc que des retombées limitées, du moins tant qu’elle idéalise les services publics, explicitement ou non, et ignore ce que vivent réellement les gens à la base. Un tel discours contribue à protéger les intégrés (les salariés en CDI, par excellence) mais ne peut passer que pour un discours excluant auprès des pauvres et exclus. La composition des manifs pro-Mélenchon laisse peu de doute à ce sujet malheureusement : il touche très peu les pauvres, le public est plutôt issu de la petite-bourgeoisie. À destination des exclus c’est un discours plus populiste qui est nécessaire, au sens où il doit être en prise avec leur vécu. À ce titre Jean-Luc Mélenchon multiplie les erreurs : attaquer le FN sur le mode moraliste (vous êtes raciste, etc.) ravit un certain public bien intégré mais ne sert concrètement à rien car Marine est maline et les accusations sont difficiles à prouver (pire elles servent sa victimisation). Les exclus ou en voie d’exclusion considèrent que ces joutes oratoires sont secondaires devant la nécessité de trouver des réponses concrètes à leur situation.
Il est à craindre que la hausse des impôts n’alimente le FN, car elle touche aussi les pauvres (exemple : la défiscalisation des heures sup,) et c’est d’autant plus difficile à vivre pour eux que les marges sont étroites (chaque euro compte) et que les retombées des impôts sont peu visibles. Pour un euro payé, le pauvre ne se voit retourner qu’un quart d’euro voire moins en termes de services (y compris publics), il est donc forcément amené à relativiser l’idée selon laquelle le public est forcément plus au service de tous que le privé. Un tel discours oublie qu’il y a peu de différence, vu d’en bas, entre l’inclus du public et l’inclus du privé. Aussi le pauvre veut-il avant tout éviter de payer pour les riches, privés ou publics. À quoi bon par exemple payer plus pour les retraites quand elle sera de toute façon minable pour cause de trop de trous dans la carrière. Dans ce cas la tentation est grande de vouloir rétablir l’égalité par en bas. C’est la logique du don antagonique : puisque je ne peux pas avoir ce à quoi j’ai droit, autant que je t’en prive, pour rétablir l’égalité et la justice.
L’adversaire : le monde de la rente
Des réponses concrètes impliquent de pointer clairement les obstacles. Le FN pointe ces obstacles, publics et privés. La gauche s’en tient à la dénonciation de la finance, c’est même devenu un marqueur, on est d’autant plus à gauche qu’on est virulent contre elle. En ce sens la gauche reste plus anticapitaliste que communiste car le communiste est celui qui tient les communs, qu’ils soient privés ou publics cela ne fait pas de différence de principe. L’anticapitaliste n’a pas les communs au centre de sa réflexion ni de son action, d’où l’idéalisation du public, qui évidemment l’éloigne du vécu des pauvres et témoigne qu’il n’en fait pas partie. Devant l’existence de ces pauvres il se voit contraint de théoriser l’existence d’un « lumpenprolétariat » à qui il n’accorde pas de positivité. Le FN pointe certes de fausses solutions (les immigrés), le bouc émissaire étant une composante première de l’autorité réac mais les immigrés eux-mêmes sont tentés d’y croire car il existe une forte concurrence entre eux et ils voient bien que l’intégration étant extrêmement sélective il faut bien se distinguer des autres immigrés et passer devant tout le monde si c’est possible.
Démocratiser dans ce contexte c’est s’en prendre de manière claire à tous les rentiers - rentiers symboliques (mandarins des universités, etc.), rentiers économiques (riches, etc.) et même rentiers « de gauche » (critiques attitrés de ceci ou cela). Cette perspective explique très clairement comment une lutte révolutionnaire contre la rente peut facilement basculer à droite comme à gauche, et pourquoi les leaders sont extrêmement importants. L’engagement de la base va en effet se faire à droite ou à gauche suivant le jugement qu’on peut se faire du risque de création de nouvelles situations de rente (le culte de al personnalité est une forme de rente). Démocratiser c’est être communiste et pas anticapitaliste, être communiste c’est accepter d’être plus pauvre (« sobriété »), de se déclasser, quand on est inclus, cela au nom des communs (co-obligation, co-activité). Malheureusement « communiste » est devenu une étiquette infréquentable, et les communistes se sont largement intégrés dans la classe politique.
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- Netoyens.info · 02 May 2014, 16h23
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Du communisme aux communs ? par Fabrice Flipo
À propos de Pierre Dardot & Christian Laval, Commun – Essai sur la révolution au XXIème siècle, Paris, La Découverte, 2014.