Demain le monde ? - 1
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Posted on Saturday 07 November 2009, 06h00 - updated on 16/02/12 - Entretiens - Permalink
« Ne pas se résigner passera par le renoncement à un monde
au bénéfice d’un autre à inventer.»
On entend de plus en plus souvent dire que l’altermondialisme n’est plus. Il est vrai qu’on en entend plus vraiment parler. Est ce que les médias boudent ce mouvement politique international ? Est-il réellement en phase de déclin comme on le laisse entendre ? Rien est moins sûr.
On l’a vu encore ces derniers jours notamment avec l’intervention dans le 7/10 de France Inter de Susan George (Présidente d’honneur d’Attac) dans un débat avec Henri Guaino, conseiller spécial de monsieur Nicolas Sarkozy, président lui aussi mais de la République Française. Ce débat cherchant à faire le bilan au terme d’une année de crise fut intéressant parce qu’il a pu mettre en évidence l’importance de l’analyse altermondialiste, ces prévisions mais aussi ces propositions.
À travers une entrevue en plusieurs volets dont nous publions ici le premier, nous vous proposons d’illustrer si l’en est besoin la richesse de ce mouvement politique mondial. Nous situons la réflexion autour d’un débat qui a cours en son sein depuis quelques mois engageant une analyse historique du mouvement et surtout sa mise en perspective.
Valérie Duviol pour Netoyens.info : On peut bien dire que personne n’a jamais entendu parler de ce débat qui met en opposition la notion d’altermondialisme avec l’altermondisme. Pourtant, ce débat même confidentiel nous intéresse dans la mesure où, nous cherchons à oeuvrer utilement à l’élaboration collective et démocratique d’un nouveau paradigme. Ce débat permet de se projeter dans l’avenir tout en tenant compte de toute la complexité du moment et de ces urgences. De ce point de vue, nous pensons que ce sujet mérite d’être sorti des lieux étroits du militantisme que l’on appelera «Alter» pour aller vite.
Du capitalisme d’État et de la globalisation néolibérale : la fin d’un système ?
Valérie Duviol : Avant de rentrer dans le vif du sujet, on est bien obligé de s’interroger sur le monde dans l’état où nous le trouvons actuellement et dont la caractéristique sans doute la plus marquante, avec le dérèglement climatique et l’effondrement de la biosphère, est ce que l’on appelle la «globalisation néolibérale». Quand on lit ici ou là ou quand on parle de « la mondialisation » n’est ce pas une forme particulière du capitalisme que l’on veut décrire ? Dans ce cas, est ce d’une nouvelle forme de capitalisme que l’on a cherché à imposer au monde ces 30 dernières années ?
Eric Jousse : Je pense que l’actuelle mondialisation qu’on appelle néolibérale est en fait la forme la plus aboutie du capitalisme. Je crois que Raoul Marc Jennar et d’autres parlent de capitalisme financiarisé afin de le distinguer de ce qu’on a pu connaître avant guerre, le capitalisme « à papa », un capitalisme industriel paternaliste fortement connoté ensuite par le Fordisme. La financiarisation de l’économie, sa libéralisation, sa dérégulation et son cortège de déréglementations auront produit et décliné le capitalisme dans sa forme la plus aboutie, très certainement.
Mais le capitalisme a jusqu’ici toujours cherché à tirer profit de chaque situation et chaque phase d’adaptation a trouvé son aboutissement avant de rebondir à nouveau face à une situation nouvelle. C’est l’idée que l’on a communément de lui. Cette plastique, cette souplesse adaptative mérite cependant qu’on l’interroge car, loin d’être naturelle, il se trouve aussi une loi historique qui veut qu’il n’y a pas d’organisation sociale qui ne perdure ad vitaem. Pourquoi notre bonne vieille “5ème Rep” comme le capitalisme “dernier cri” feraient exceptions ?
Arrivé en ce début de millénaire, ce qui me semble souhaitable, c’est de ne pas laisser une chance au capitalisme «Gore» de s’y essayer. Pourtant le Grenelle dont Al Gore veut une édition mondiale aura servi à son prochain renouvellement.
V.D. : Tiens tiens ! Al Gore, l’écolo-libéral, serait aussi alter-mondialiste ?
E.J. : C’est une bonne question.
V.D. : Ce que nous venons tout juste de dire revient pour moi à se poser la question suivante : est ce que l’altermondialisme est
fondamentalement anticapitaliste ? On sait, par exemple, que certains «Alters» sont favorables à une réforme de l’OMC mais pas à sa suppression. Si être altermondialiste c’est vouloir une autre forme de mondialisation, la réponse tend à être négative : l’altermondialisme n’est pas anticapitaliste.
E.J. : C’est une question qu’on peut se poser mais que je ne me pose plus vraiment tant elle me paraît inadaptée à la situation non pas immédiate mais en puissance. Je ne veux pas pour autant l’éluder.
On voudrait dire par là que «l’autre mondialisme» serait aussi la quête d’un autre capitalisme ? Pourquoi pas. À ce compte là, il sera nécessairement accompagné d’une dynamique colonisatrice (un autre modèle pour le monde) et dans la pratique, cet autre capitalisme ne peut être que celui tirant profit d’une ruée vers l’or vert. Je n’en vois pas d’autre. Et tel que je le vois venir, il n’a rien de salutaire. Il est même à proscrire. D’ailleurs, je me demande s’il est
seulement possible et c’est parce que je n’y crois pas vraiment - sauf à sombrer dans un néoféodalisme et la barbarie fut-elle moderne - que cette question pour moi n’est pas première.
V.D. : Néocolonialisme, néoféodalisme, barbarie «dernier cri »… mais pourquoi la mondialisation se prolongerait nécessairement par un capitalisme «vert» ou «Gore» ?
E.J. : Il est vrai que la mondialisation ne se réduit pas au capitalisme même si elle y a puisé sa force et son aboutissement pour prendre une revanche sur les «30 glorieuses» : rétablissement des taux de profits notamment par le transfert de 12% de PIB des salaires vers les dividendes entre bien d’autres choses. Cet exemple est pris dans la réalité économique et fiscale de la France mais c’est une caractéristique évidente de la Révolution conservatrice que d’avoir tout fait pour répartir les richesses issues des PIB en favorisant les plus riches. C’est aussi une augmentation sans précédent de la production de richesses sur le dos du plus grand nombre et de la planète. C’est cette amplification doublée d’une accélération de la production qui nous met face à une situation de grand danger. Il faut bien comprendre que ce que nous connaissons de plus clinquant, ici en France, est loin d’être valable partout. Ce que nous vivons, nous le savons depuis longtemps, n’est pas généralisable nulle part, ni en France, ni ailleurs : pour ne parler que de transport, imagine t-on seulement possible de faire rouler tous les jours 2 ou 3 milliards d’automobiles en plus des camions, des avions et des super tanker ? Ce gaspillage pléthorique n’a d’égal que la précarité de son mode de réalisation et partant de sa réalité même. Il est bien plus probable de le voir disparaître sans qu’on n’y puisse rien que de l’étendre en chaque point du globe et pour tout le monde. C’est d’ailleurs ce qui va se produire très vite.
V.D. : On vient de fêter (façon de parler) le premier anniversaire de la plus importante crise mondiale, une crise financière d’abord mais sans doute aussi systémique. L’OMC, le FMI, la Banque Mondiale, L’OCDE, toutes ces institutions qui ont oeuvré à la dernière mondialisation en date, à cette Révolution conservatrice dont certains bénéficient et la plupart endure, toute cette organisation est-elle réformable ?
E.J. : Je ne le crois vraiment pas. Deux socialistes sont à la tête des deux plus fameuses d’entre elles, sans doute les plus influentes. L’Organisation Mondiale du Commerce est dirigée par Pascal Lamy et le Fond Monétaire International par DSK, deux ex-membres socio-libéraux du Parti Socialiste français . On ne les présente plus. Sérieusement, que nous est-il possible d’espérer ?
Les débats au sujet de la réforme de ces institutions me semblent vains et surtout le temps presse. L’OMC et le FMI ont fabriqué de toute pièce cette mondialisation. On n’oubliera pas au passage la Banque Mondiale ainsi que l’OCDE et le G8. Rien de démocratique dans tout ça, soit dit en passant. La financiarisation de l’économie a fait en sorte que cette mondialisation là se soit totalement affranchie de toute modalité de régulation qui assurait une répartition des richesses jadis socialement tenable. Lamy et DSK ne pourront éventuellement modifier ce fonctionnement qu’à la marge avec peu ou pas d’effet étant donné l’échelle d’application. Mais, le plus grave, c’est que ces institutions ont été mises au service d’une mondialisation qui a montré ses limites. Elle est maintenant absolument contestée, pour ainsi dire, de l’intérieur. Je pense à Stiglitz, pour ne citer que lui.
Mon propos est le suivant. Quand un modèle est à ce point dominant, totalitaire et imprègne culturellement les sociétés jusque dans l’intimité de chaque individu même les plus défavorisés. Quand on constate qu’il est incapable de se sortir de sa «diagonale du fou», il faut voir dans quel merdier - pour parler vulgairement - il nous mettra à terme quand sa course folle finira dans le mur. Ce dont il est question c’est de trouver la voie pour l’en empêcher. Je crois que ce qui est devant nous est sans précédant même s’il y a des ressemblances flagrantes avec ce que notre civilisation a déjà subit entre les années 1920/30 et les années 1940/50, crises auxquelles désormais il faudrait articuler les conséquences de la fin du pétrole bon marché, c’est à dire avant même son épuisement définitif et de manière imminente si l’on en croit l’ASPO et même depuis peu l’AIE, les effets du dérèglement climatique et l’effondrement de la biodiversité. N’éludons pas les conséquences sociales, sociétales, culturelles et démocratiques. C’est en cela que nous voyons venir une crise systémique. Certains parlent même d’une crise anthropologique.
L’hypothèse d’une réforme de ce système - par exemple par sa moralisation - équivaudrait à de l’acharnement thérapeutique appliquée à une civilisation occidentale dominante, dominatrice, qui voit poindre sa fin logique, le fameux mur. L’hypothèse pour moi la plus probable est qu’il n’est pas donné aux humains de pouvoir arrêter ce système devenu dément et sénile. Je veux dire par là que les penseurs et acteurs responsables de la globalisation sont marqués par une cécité quant à l’état du monde et d’un aveuglement idéologique de plus en plus incompréhensible sauf à observer que les fondements sont maintenant datés et anachroniques, obsolètes si l’on préfère. Ces défenseurs et serviteurs zélés, parfois même acharnés, soutiennent que ces ressorts sont naturels. C’est au moins une erreur de le penser. C’est souvent et surtout un mensonge. Mais ce que l’humain ne saura pas faire ou bien plutôt ici défaire, la nature est en voie de le provoquer, avec pertes et fracas. Ce système est en train de péricliter. Il aura vécu 30 ans toute sa splendeur. La fête est finie.
V.D. : À ce moment, une question d’ordre plus philosophique peut être abordée. De la même manière qu’on pourrait se demander si l’homme peut être son propre sauveur, la nature peut-elle l’être aussi ? Précisons : Les dérèglements climatiques peuvent être tels, qu’au final, ils ne permettent qu’à la nature et seulement à elle de subsister. Au bout du compte, la nature se sauverait donc elle-même ?
E.J. Même une fois dénaturée par les activités anthropiques modernes encore en vigueur, ces activités de “fauteur d’entropie” comme les qualifiait Claude Lévi-Strauss, pour se donner lui-même comme cause d’une dégradation irrémédiable des choses, activités que l’on cherche par tous les moyens à relancer, la nature n’aura jamais besoin des humains pour quoi que soit. Elle existe et nous en faisons partie. Si on la laisse tranquille, si on ne fait rien pour l’en empêcher, là où nos activités ont entrainé sa détérioration même avancée, à plus ou moins long terme, elle se régénère. Si la vie a rendu l’existence des êtres humains possible ça ne signifie pas pour autant qu’elle n’est pas possible sans nous. Bien au contraire. Depuis trois siècles nous la maltraitons jusqu’à excéder sa prodigalité et ce faisant, nous menaçons nous même l’espèce humaine. Je ne doute pas que si l’espèce humaine disparaissait, la nature serait à même de se refaire une santé sans nous vivants.
Par ailleurs, je ne vois pas en effet que la nature nous enlève quoique ce soit. Je ne fais pas d’anthropomorphisme contrairement à certains écologistes. Elle ne cherche pas à nous punir même de tant d’excès à ses dépens. Pour ne prendre que cet exemple, il restera toujours dans un coin des mers quelques thons en nombre suffisant pour régénérer l’espèce même si elle est suffisamment en voie de disparition pour que nous ne puissions plus en pêcher pour nous en nourrir.
Nous sommes, nous les humains, responsables des conditions de vie que nous choisissons et pour être plus exact, parmi nous, il se trouve une petite clique malfaisante, un potentat de ploutocrates déments et forcenés, qui portent certainement la responsabilité primordiale du sort qui nous attend. Nous ne sommes pas obligés ni de les suivre ni de les subir et il est grand temps que nous le réalisions car beaucoup va se jouer dans la décennie qui vient.
V.D. : Revenons à cette crise d’ordre systémique. Face au vide d’organisations adéquates, face au vide même que notre civilisation pourrait laisser, ne faudrait-il pas se demander ce qui peut prendre la suite et anticiper tout ce qui peut encore l’être dans cette perspective ?
E.J. : Je crois avoir déjà décrit ce que l’on pouvait craindre mais pour être un peu plus précis encore, donnons l’exemple de ce qui me semble être vain. Cela consisterait non pas à se poser la question du “Comment changer le monde dans le capitalisme ?” ce qui n’a pas de sens mais éventuellement l’inverse : “Comment changer le capitalisme dans un monde qui impose à nouveau ses limites ?”. Hormis le fait qu’il essaie déjà de sortir de la crise dans laquelle le capitalisme s’est fourré lui même, notamment par le déversement de centaines de milliards d’euros sur les marchés monétaires par les banques centrales ou équivalents, un tel projet est-il seulement souhaitable ? Je ne le crois vraiment pas.
D’un point de vue social d’abord, on ne voit pas pourquoi il changerait les équilibres acquis ces 30 dernières années, des équilibres largement en sa faveur gagnés au bénéfice d’un chômage de masse durable, un niveau de chômage (années 80) qui est quasiment aussi ancien que la mondialisation néolibérale (1973, le président Allende alerte le monde lors d’un discours à l’ONU). Et quand je parle ici d’acquis je veux faire remarquer que durant cette période le capitalisme, tout en contestant par tous les moyens ce que l’on appelle les acquis sociaux, a réussi à renverser la logique de telle sorte qu’il faut réaliser maintenant que les acquis ont changé de camp. Il faut savoir en tirer les conséquences.
Du point de vue écologique, on ne peut pas douter qu’il puisera dans les ressources jusqu’à la lie en détruisant au passage le climat et en épuisant la biodiversité. Il ne sait, n’a jamais su et ne saura jamais faire autrement. C’est congénital et pour parler plus juste c’est dans la logique propre d’un capitalisme industriel et productiviste mû et potentialisé par une économie financiarisée et globalisée. Le résultat est une catastrophe systémique et planétaire que nous voyons se dérouler sous nos yeux si on veut bien la voir.
Quant à l’économie fondée sur les services et la dématérialisation dont on entend de plus en plus parler, c’est pour le moins pure fumisterie, pure foutaise. C’est de la désinformation, de la propagande, un moyen de conditionnement pour nous faire accepter la bagnole électrique étiquetée “verte” et le mode de vie qui va de paire, c’est à dire au fond, rien de bien différent que ce que nous vivons depuis les années 60/70. Au lieu d’une dématérialisation il s’agit bien au contraire d’une hypermatérialisation dopée par les nanotechnologies, cette illusion qu’en faisant plus petit on consommera moins de ressources fossiles ou non renouvelables. Ces technologies du microscopique relèvent de la même logique et engagent les mêmes ressorts économiques que le nucléaire et les OGM. Dire cela n’est pas fait pour faire peur mais il n’empêche que ça fait peur. Un trait commun entre les trois, c’est que ce sont des technologies de l’invisible, de l’inodore et de l’incolore. Elles échappent à tous nos sens. De quoi rendre paranoïac, c’est certain. Mais il est bien plus probable que nous les subissions sans rien en savoir et sans rien y comprendre. Posons-nous la question. Qui les développent et qui a les moyens de leur contrôle ? Encore une question adressée à la démocratie.
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