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Comment la spirale néolibérale réussit à démanteler le système de solidarité et à engendrer l’extrême droite

Comment la spirale néolibérale réussit-elle à démanteler le système de solidarité de notre pays, élaboré patiemment à force de mobilisations, de résistances et de luttes, et, dans le même élan, à engendrer l’extrême droite ?

Par la tromperie.

À partir des années 80, n’étant pas dans les petits secrets du pouvoir, les militants ont pu croire, de la part du gouvernement de gauche qu’ils avaient réussi à faire élire, que celui-ci avait été forcé de faire des compromis. Mais, peu à peu, sont apparus ou se sont imposés de plus gros compromis : le tournant de la rigueur, la guerre du Golf, le Rwanda, Maastricht…
C’est alors qu’a commencé la dégringolade.

Il est essentiel de comprendre que le désamarrage des résistances ne s’est pas fait uniquement par la force et par l’usure, mais aussi, en quelques sortes, par un envoutement. Celui-ci perdure obstinément chez certains sous la forme de naïvetés et d’illusions qui n’ont rien à envier à celles qu’on reproche à des indépendants en politique comme Étienne Chouard. Et cet état de fait arrange parfois certains d’entre nous qui, ayant le sentiment de s’y retrouver, sont finalement à l’aise d’être dupés. Chez ceux qui ne s’y sont ni laissé prendre ni soumis, il a  pu provoquer au contraire de violentes déceptions, jusque, parfois, des ressentiments qui leur ont fait adopter des positions rageuses (je pense, par exemple, à Dieudonné).

Selon toute vraisemblance, le nouveau courant de droite radicale qui est en train d’émerger est avant tout réactionnel. Son affirmation se fait moins, encore aujourd’hui, sur le mode d’une conviction haineuse idéologisée que sur celui d’une provocation contre-offensive (cette dernière, si on la laisse faire et surtout si on la nourrit de coups inutiles, constituant le catalyseur de l’autre). Ce courant n’est pas principalement le résultat d’un basculement des forces de gauche vers l’extrême droite (quoi qu’on puisse l’observer par endroits), mais, d’un point de vue plus reculé (national), il correspond bien au basculement de la prépondérance du pôle activiste radical de gauche vers le pôle activiste radicale de droite – qui, lui, confine à l’extrême.

Pourquoi ce phénomène ? Mon idée est que, face à ce déracinement provoqué par le néolibéralisme à coup de chocs émotionnels et de politiques insidieuses, la population politiquement active (le peuple, fait de sa pleine diversité) cherche à maintenir son ancrage coute que coute dans ce qui fait, non seulement son identité, mais aussi et surtout son avantage (dont le système de solidarité est partie prenante).

L’ « extrême centre », comme je l’appelle, mobilise le peuple à coup d’émotions fortes sur la base de valeurs morales et progressistes qu’elle utilise soit comme façade (s’agissant surtout des causes les plus larges – la paix dans le monde, la démocratie, la solidarité internationale…) soit en en expurgeant la portée universelles (s’agissant surtout des causes les plus restreintes – comme celles de certaines minorités ou individus particuliers). Cette pratique mène le peuple, pour partie dans une condition à caractère schizophrénique où il se retrouve à défendre les ennemis de son propre intérêt, pour partie dans une position de radicalité qui lui fait plus ou moins rejeter ces valeurs morales et progressistes.

Ce ne sont donc pas tant les réactionnaires viscéraux qui arrivent, par leurs arguments rétrogrades ou haineux, à attirer à eux des masses de nouveaux militants (quoi qu’ils aient parfois l’avantage de la force critique), ce sont les néolibéraux qui refoulent, de toute leur duplicité, ces dernières entre leurs mains.

J’entends par néolibéraux tous ceux qui profitent et participent de ce système sans en dénoncer prioritairement le fondement – c’est-à-dire le caractère capitaliste et, encore en amont, la recherche de domination par tous les moyens de la puissance.

Ce qui situe l’origine de la tromperie au niveau de l’appareil des partis présidentiables – le PS en tête qui a, on ne peut mieux, perverti la notion de socialisme. Mais aussi l’UMP, en pervertissant la notion de gaullisme protectionniste qui mettait au second plan, mais plan essentiel tout de même, les partages internationaux, une fois le pays mis en position de force – ce qui n’a rien d’absurde. Ce qui situe aussi l’origine de la tromperie au niveau des multiples instances de défense des intérêts particuliers.

La liste est longue des causes qui se sont retrouvées foncièrement dévoyées au fil des 30 dernières années.

En voici une, non exhaustive - qui exclue notamment les récupérations faites par les mouvements politiques officiellement stigmatisés, et que je propose sous réserve de développement de chaque cas :

  • la recherche scientifique – dévoyée par l’industrialisme et le financiérisme, par le biais du scientisme et de l’ « expertisme » ;
  • le syndicalisme – dévoyé par les gouvernements et le MEDEF, par le biais des logiques d’appareils, des corruptions, etc. ;
  • le rôle du politique – dévoyé par des arrivistes, clientélistes, conformistes… motivés par le pouvoir, l’argent et les honneurs plus que par de vraies convictions politiques liées à la défense de l’intérêt général ;
  • l’écologie – dévoyée par le greenwashing des multinationales, des grandes institutions (internationales, mais aussi nationales comme l’INRA), quelques grandes ONG (WWF…) et partiellement par des partis comme EELV ;
  • l’internationalisme et son esprit de solidarité – dont ce qu’on appelle l’ « action humanitaire » – dévoyé par la globalisation, l’impérialisme états-unien et l’européanisme ;
  • le pacifisme – dévoyé au profit des puissances occidentales, plus précisément oligarchiques concentrées, en particulier, aux Etats-Unis) ;
  • la recherche médicale – dévoyée par le Téléthon, les compagnies d’assurance, l’industrie pharmaceutique et toutes sortes de fondations et d’appel aux dons qui cachent le démantèlement du système partagé de santé ;
  • la démocratie participative – dévoyée par des procédures locales ou occasionnelles ne servant que de faire-valoir à des élus et à leurs partis ;
  • le suffrage universel – dévoyé par les moyens financiers, médiatiques et autres mis en œuvre pour gagner à tous les coups l’électorat à l’avantage de l’extrême centre ;
  • la culture artistique – soumises aux conditions soit de l’hyper-élitisme, soit du rendement, de la concurrence, de la consommation de masse et, par voie de conséquence, de la spéculation et du copinage ;
  • le féminisme – instrumentalisé contre Poutine, l’Islam et le catholicisme à l’avantage d’autres puissances et d’autres obédiences pas plus vertueuses – Femen, Fourest… ;
  • l’homosexualité – dévoyé au profit de la marchandisation du vivant – GPA, MPA – et de la tradition bourgeoise – le mariage
  • la judéité – dévoyée au profit du sionisme, lui-même dévoyé au profit de l’ultrasionisme d’extrême droite ;
  • l’Islam – dévoyé au profit de l’ingénierie sociale et militaire des puissances occidentales et orientales, par le biais du terrorisme ;
  • la résistance militaire contre l’interventionnisme et le colonialisme étrangers – considérée, lorsqu’elle va contre les intérêts oligarchiques internationaux, comme du terrorisme – les populations musulmanes ou socialistes d’Amérique du sud étant en général les plus concernées ;
  • l’antifascisme – dévoyé au profit de l’extrême centre, par le biais de la stigmatisation par amalgame – Antifas… ;
  • le journalisme dit « d’information » – dévoyé par les grands capitaux et autres instances néolibérales, par le biais du conditionnement des journalistes, des politiques éditoriales et de l’interventionnisme plus ou moins discret des instances de contrôle ;
  • j’oserai dire l’intelligence – dévoyée par une communauté d’élites dominante liée par un certain conformisme d’idées et un besoin de reconnaissance selon le principe des pairs, de l’éditorialisme et de la tradition institutionnelle ;
  • et même la zététique (l’art de douter !) – dévoyée par les lobbies industriels et politiques au profit de l’ingénierie sociale et des marchés de la production industrielle de masse – voir, par exemple, Gérald Bronner et ses amis ;
  • etc.

L’une des seules grandes causes qui n’a pas fait ouvertement l’objet d’un détournement (même si elle l’a été de manière la plus scandaleuse par des affaires de justice, des compromissions du type « méthode Hoover », et des complaisances scandaleuses), c’est celle de l’antipédophilie. Malheureusement, elle est devenue tellement taboue que seuls ceux qui ont passé le cap d’être pris pour des malades peuvent encore en parler plus ou moins publiquement.

Ce tableau montre de manière frappante à quel point l’exaspération peut être grande parmi les militants et à quel point elle peut, soit leur faire baisser les bras une fois pour toutes, soit les faire tomber dans des formes de radicalisations propres à créer les divisions les plus profondes.

Mon objet n’est pas de défendre les pulsions d’extrême droite mais de faire en sorte qu’on n’essentialise pas à la va-vite ceux qui les ont – selon le fameux conseil rappelé par le sociologue Philippe Corcuff et mis en usage ici de manière moins partiale que proprement analytique.

Mon objet est de comprendre comment tous ceux qui militent réellement avec leur cœur (face à un effondrement probable) et sans concession aux dominations établies peuvent être traversés par cette tentation, en forme de nécessité, de rejoindre des rangs d’activistes beaucoup plus radicalisés.

Sauf à être dangereusement suiviste, personne ne peut aujourd’hui avoir des positions politiques efficaces et justifiées qui ne rencontrent pas, à un moment ou à un autre, un risque de contradiction face à ce que deviennent les causes pour lesquelles il se bat dans le domaine public. Sans être bien accroché à ses motivations humanitaires et avoir une forte autonomie d’esprit, le militant a toutes les chances de tomber dans un travers ou dans un autre.

On comprend que les associations qui se réclament des valeurs typiquement de gauche ne puissent cautionner les rencontres de ses membres avec des leaders comme l’économiste Chouard. Mais, avant de le leur interdire, il fait surtout partie de leurs responsabilités de soigneusement travailler à démêler les enjeux que soulèvent ces situations, de leur trouver des solutions « élégantes » et de résister à la facilité qu’elles auraient de participer à cette grande foire de la tromperie.

Même si le risque est grand de voir se cristalliser une situation d’autoritarisme en Europe dans les années ou les décennies qui viennent, je doute fort que ce soit par la voie d’une formule extrémiste de droite à l’ancienne, c’est-à-dire de type « folkloriste ». La probabilité de dictatures ploutocratiques, qui régneraient sans états d’âme sur des masses de pauvres – toutes origines comprises – au moyen d’un appareil de contrôle militaire et policier ultratechnologisé, me semble beaucoup plus grande.

Quoi qu’il en soit : ce qui doit nous permettre d’effectuer un bon diagnostique pour en tirer le bon remède c’est moins d’anticiper un désastreux mais indistinct rapport de force que de bien analyser et combattre celui qui nous entraîne aujourd’hui dans sa toile.


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Juan Roy de Menditte

Author: Juan Roy de Menditte

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Comments (1)

Le dindon de la farce Le dindon de la farce ·  03 November 2014, 14h04

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