Boycott de la commission Stiglitz ! - par Jean Gadrey
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Posted on Tuesday 15 January 2008, 11h03 - updated on 16/02/12 - Réfléchir - Permalink
Nicolas Sarkozy vient de confier à Joseph Stiglitz, prix Nobel d'économie, la présidence d'un groupe d'experts ¬´ de haut niveau ¬ª dont la mission est de ¬´ changer notre instrument de mesure de la croissance ¬ª. La plupart des commentateurs ont interprété à juste titre cette décision surprenante comme un rideau de fumée destiné à masquer l'échec évident d'un Président qui voulait aller ¬´ chercher la croissance avec les dents ¬ª, qui avait mis en place la commission Attali à cet effet, et qui réalise qu'il ne parviendra pas à tenir ses objectifs. Il espère, en changeant de thermomètre, calmer la fièvre et faire oublier sa déconvenue.
Il reste que nous avons réellement besoin, sans pour autant nous passer de l'omniprésent PIB (produit intérieur brut) et de sa croissance, d'indicateurs alternatifs qui rendent mieux compte du bien-être et du développement humain durable. Les raisons en sont multiples, mais elles se résument ainsi : la croissance économique ne s'accompagne pas toujours de progrès social, et, dans sa forme actuelle, elle aggrave les dommages écologiques, dont le réchauffement climatique. D'autres indicateurs ‚Äì il en existe déjà beaucoup ‚Äì peuvent donner une idée plus juste des évolutions du bien-être, de la santé sociale et écologique.
Faut-il pour autant se féliciter de cette initiative du Président ? En aucun cas. C'est une insulte à la démocratie statistique et à la démocratie tout court. En effet, dès lors qu'il s'agit d'évaluer la qualité et la durabilité du développement, des jugements de valeur interviennent et des acteurs sociaux multiples doivent être partie prenante du processus de mise au point des indicateurs. Il s'agit bel et bien de choix de ¬´ civilisation ¬ª, pour reprendre un terme lui aussi découvert récemment par le Président. Une politique de civilisation sans ses acteurs, confiée à une poignée d'experts économistes et statisticiens nommés d'en haut, est une aberration. Le ¬´ Grenelle de l'environnement ¬ª a produit peu d'effets, mais il avait au moins cette caractéristique de débat ouvert.
La Commission européenne et l'OCDE, qui ne sont pas des modèles de démocratie, ont bien compris ce b-a-ba des processus de réorientation de la mesure de la richesse. La première a organisé en novembre dernier à Bruxelles une conférence internationale de grande ampleur ¬´ Au-delà du PIB ¬ª ouverte à tous les acteurs de la société civile, en allant même jusqu'à la co-organiser avec des ONG ! L'OCDE avait réuni peu avant à Istanbul 900 personnes venues du monde entier, experts et non experts, pour débattre du même thème.
Une commission de l'Assemblée nationale, présidée par Pierre-Alain Muet et dont le rapporteur est Hervé Mariton, travaille depuis plusieurs semaines sur le sujet et réalise des auditions. On lui coupe l'herbe sous le pied. Et surtout, nous avons la chance de pouvoir compter, en France, sur une institution précieuse dont la mission est exactement celle-là : proposer des évolutions et améliorations constantes des statistiques publiques en faisant travailler, ensemble, des statisticiens, des chercheurs, et des représentants des ¬´ partenaires sociaux ¬ª et des associations, afin que la demande des utilisateurs de statistiques et l'offre correspondante s'ajustent au mieux. Il s'agit du CNIS, conseil national de l'information statistique, présidé par‚Ķ le ou la Ministre de l'économie, mis à l'écart par cette initiative présidentielle.
Si les travaux de la commission Stiglitz ne s'inscrivent pas dans le cadre du CNIS et de ses règles participatives, si le lien n'est pas fait avec la mission de l'Assemblée nationale, si la société civile n'est pas fortement représentée, les experts que l'on contactera pour en faire partie, s'ils attachent un peu de prix à la démocratie, devraient adopter, même s'ils apprécient les travaux et la personnalité de Joseph Stiglitz, une position logique : le boycott.
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