Last site update 17/09/2021

To content | To menu | To search

Science sans conscience...

La mon­dia­li­sa­tion débri­dée des vingt-cinq der­niè­res années à laquelle la crise actuelle pour­rait para­doxa­le­ment don­ner plus de vigueur encore est le ter­rain pri­vi­lé­gié de la science ven­due aux mar­chands. Sous le pré­texte du coût très élevé de la recher­che, des mon­ta­ges finan­ciers com­plexes et des par­te­na­riats public-privé (PPP) équi­vo­ques nais­sent aux qua­tre coins de la science qui peu à peu y perd son âme. Quand de nom­breu­ses « avan­cées » de la science mar­chan­di­sée insé­cu­ri­sent notre envi­ron­ne­ment, les citoyens devraient s’orga­ni­ser autour des « lan­ceurs d’alerte » afin de répon­dre à la maxime des mar­chands : science avec cons­cience n’est que ruine du pro­fit.

Le domaine des bio­tech­no­lo­gies est pro­ba­ble­ment le champ le plus vaste de ces gran­des manœu­vres qui redé­fi­nis­sent aujourd’hui les prin­ci­pes inter­nes de la science et sa place dans la société. Afin de faire accep­ter par le corps social – majo­ri­tai­re­ment entre­tenu dans l’igno­rance de la chose scien­ti­fi­que – les bou­le­ver­se­ments à l’œuvre, un rideau d’évi­den­ces est dressé qui dis­si­mule les vrais des­seins des acteurs en pré­sence. Ainsi pro­clame-t-on que, dans le monde de demain, la recher­che publi­que ne sera qu’un élé­ment d’un ensem­ble favo­ri­sant l’émer­gence d’une syner­gie d’inté­rêts mul­ti­ples bien com­pris. Ainsi nous dit-on encore que de nom­breu­ses solu­tions – si ce n’est tou­tes – des grands pro­blè­mes de notre temps sont d’ores et déjà con­te­nues poten­tiel­le­ment dans les avan­cées des bio­tech­no­lo­gies, des nano­tech­no­lo­gies, de la phy­si­que nucléaire, de la « chi­mie verte » ou de la bio­lo­gie syn­thé­ti­que. Les cher­cheurs pru­dents quant à ces bien­faits sup­po­sés ne sem­blent plus être majo­ri­tai­res. Que dire alors de ceux qui s’alar­ment de réels dan­gers que pour­rait nous faire cou­rir la mise en cir­cu­la­tion, sans véri­fi­ca­tion véri­ta­ble de leur toxi­cité éven­tuelle, des sub­stan­ces nou­vel­les innom­bra­bles ? La mise en sour­dine de la cons­cience du cher­cheur per­suadé de faire le bien de l’Huma­nité paraît attein­dre son com­ble avec la « révo­lu­tion géné­ti­que ». Avec la mar­chan­di­sa­tion de tou­tes les for­mes du vivant, le res­pect de l’inté­rêt géné­ral et de l’ordon­nan­ce­ment mil­lé­naire de la nature sont priés de s’effa­cer devant les appé­tits déme­su­rés des magnats de la Finance et l’insou­ciance d’appren­tis sor­ciers en mal de gloire média­ti­que.

La bio­lo­gie syn­thé­ti­que – encore appe­lée sys­té­mi­que – fait désor­mais l’objet d’inten­ses recher­ches et de con­sé­quents inves­tis­se­ments. Jusqu’à pré­sent, le génie géné­ti­que con­sis­tait essen­tiel­le­ment à recon­naî­tre les gènes dans un génome, à les séquen­cer et à pro­cé­der à d’assez frus­tes « méca­ni­ques » par « cou­per-col­ler ». Aujourd’hui, des cher­cheurs pas­sent de la lec­ture du code géné­ti­que aux pre­miers sta­des de sa réé­cri­ture. Ils fabri­quent de l’ADN, let­tre par let­tre et com­men­cent à écrire des phra­ses avec des let­tres incon­nues de la nature. Nous assis­tons à la nais­sance de nou­veaux « sys­tè­mes géné­ti­ques ». En 2007, John Craig Ven­ter, le « sul­fu­reux » bio­lo­giste et homme d’affai­res amé­ri­cain, a fabri­qué un chro­mo­some arti­fi­ciel de syn­thèse grâce à un maté­riel géné­ti­que mini­mal, en quel­que sorte un génome syn­thé­ti­que nommé « Micro plasma Labo­ra­to­rium », orga­nisme qui doit ser­vir de récep­ta­cle à du maté­riel géné­ti­que syn­thé­tisé sur mesure afin d’accom­plir cer­tai­nes tâches telle la fabri­ca­tion de médi­ca­ments ou de pes­ti­ci­des.

Nous voyons se con­trac­ter des allian­ces « curieu­ses » impli­quant des start-up de la bio­lo­gie syn­thé­ti­que et les plus puis­san­tes fir­mes de la pla­nète comme les géants du pétrole, de la chi­mie, de l’agro-ali­men­taire, de « big pharma », de l’auto­mo­bile, de la syl­vi­cul­ture… D’une part , Iogen, Sola­zym, Syn­th­tic Geno­mics, Meta­bo­lix, Gene­cor ou encore Celera Geno­mics Fon­dée par John Craig Ven­ter lui-même. D’autre part, Archer Daniels Mid­land, DuPont de Nemours, Bri­tish Petro­leum, Shell, Gene­ral Motors, etc. Les pro­mes­ses mira­cu­leu­ses liées à ces maria­ges a priori con­tre nature pro­pul­sent les inté­rêts finan­ciers de ces fir­mes au-des­sus de la néces­saire pro­tec­tion des sala­riés, des citoyens et de leur envi­ron­ne­ment. Puis­que désor­mais le séquen­çage et le sto­ckage des échan­tillons bio­lo­gi­ques sont réa­li­sés numé­ri­que­ment, ils voya­ge­ront en temps réel vers les labo­ra­toi­res des fir­mes indus­triel­les des qua­tre coins du globe dis­po­sant des bre­vets pour con­trô­ler la bio­di­ver­sité et l’agri­cul­ture.

Dans les pays ayant indus­tria­lisé leur agri­cul­ture la bio­di­ver­sité cul­ti­vée dans les champs a déjà dis­paru. Les ban­ques de gènes, de plus en plus sou­vent pri­va­ti­sées, offrent un accès cha­que jour plus res­treint aux agri­cul­teurs. Tou­tes les fir­mes qui sou­hai­tent comp­ter dans la révo­lu­tion géné­ti­que pos­sè­dent leurs pro­pres ban­ques de gènes cons­trui­tes grâce à leur faci­lité d’accès aux ban­ques de semen­ces publi­ques. En France, le Bureau des res­sour­ces géné­ti­ques (BRG) a été absorbé par une Fon­da­tion de droit privé (Fon­da­tion pour la Recher­che sur la bio­di­ver­sité) ouverte aux fon­da­teurs publics – INRA, CNRS, Muséum natio­nal d’his­toire natu­relle, CIRAD… – mais aussi aux inté­rêts pri­vés tels Lima­grain, L’Oréal, LVMH, Total, le Medef. Ces der­niers sié­geant d’office au Con­seil d’admi­nis­tra­tion, ils seront demain, sans efforts, majo­ri­tai­res au nom de « l’effi­ca­cité ges­tion­naire ».

La « nou­velle fron­tière » du capi­ta­lisme que repré­sente le saut dans l’inconnu de la fabri­ca­tion de sys­tè­mes géné­ti­ques nou­veaux est pour le moins inquié­tante. La menace de la vul­gaire mar­chan­di­sa­tion du vivant n’est déjà plus qu’un sou­ve­nir. Voilà que pointe la crainte jus­ti­fiée d’un uni­vers syn­thé­ti­que façonné par quel­ques mons­tres indus­triels s’atta­chant les ser­vi­ces ser­vi­les de scien­ti­fi­ques immo­raux. Le patri­moine fabu­leux que cons­ti­tuait la bio­di­ver­sité aura défi­ni­ti­ve­ment cessé d’être le bien com­mun de l’Huma­nité pour être rem­placé par une gamme res­treinte de varié­tés arti­fi­ciel­les pro­té­gées par des bre­vets oné­reux. Les citoyens et les cher­cheurs intè­gres doi­vent s’unir main­te­nant pour résis­ter à l’ultime sou­mis­sion annon­cée.


Document(s) attaché(s) :

  1. no attachment




Yann Fiévet

Author: Yann Fiévet

Stay in touch with the latest news and subscribe to the RSS Feed about this category

Comments (0)

Comments are closed



You might also like

edito.gif

La bonne santé numérique

Ils y croient dur comme fer : c’est le numérique qui va nous sauver. A condition cependant d’y mettre le paquet ! La crise sanitaire qui a frappé nos sociétés au premier semestre 2020 leur a formidablement révélé que le numérique apporte toutes les réponses qu’ils n’avaient pas encore osé mettre en œuvre. Le grandiose laboratoire inattendu autorise désormais les rêves les plus fous. Ils en sont convaincus tous ces tenants de la Croissance sans freins, le salut de l’Humanité passe forcément par le tout-numérique.

Continue reading

edito.gif

De la révélation à l’amplification

C’est déjà un lieu commun : la triple crise – sanitaire, économique et sociale – que traverse la planète depuis le début de l’année 2020 a puissamment révélé l’ampleur des inégalités partout dans le monde.

Continue reading