La naissance du fascisme : crise du fascisme, crise de l'Italie
- Article par Éric Jousse
- |
- Comments (0)
- |
- Attachments ()
- |
- RSS Feed
Posted on Tuesday 21 January 2014, 18h00 - updated on 21/01/14 - Témoignages - Permalink
Ivo Andrić ou Andritch (1892 – 1975) est, à ce jour, le seul Prix Nobel de littérature (1961) yougoslave. Écrivain, journaliste, il a aussi été diplomate. Il est âgé de 28 ans quand en 1920 il est nommé à l’ambassade du royaume des Serbes, des Croates et Slovènes auprès du Vatican. Cette nomination lui permettra d’observer l’atmosphère insurrectionnelle et chaotique qui a cours en Italie au début des années 20, ambiance proto-fasciste qui sera le lit de la montée inexorable et violente de la réaction. Deux autres séjours en Italie le conforteront dans son analyse du fascisme naissant et du développement de la dictature mussolinienne.
Je vous propose ici un troisième extrait tiré d’un recueil de neuf textes dont le titre est La naissance du fascisme (Éd. Non lieu, 2012) et dont la première de couverture illustre ce billet. On lira avec profit l’introduction et les notes de Jean-Arnault Dérens, agrégé d’histoire, universitaire mais aussi créateur et rédacteur en chef du Courrier des Balkans, portail électronique francophone qui traite de l’actualité des pays de l’Europe du Sud-Est en général et des pays slaves du sud (yougoslaves) en particulier.
Jugoslavenska njiva, Zagreb, 1er février 1925
Depuis l’assassinat du député Matteoti (voir Jugoslavenska njiva du 16 août 1924, n°4) et le sentiment général d’amertume qui s’est ensuivi, la crise du fascisme est passée par des phases de gros temps et d’accalmies jusqu’à se transformer, ces derniers jours, en crise du pays tout entier et de sa vie publique et politique. Durant cette période, de juin 1924 à début 1925, les événements se sont enchaînés à une vitesse vertigineuse, alourdissant l’atmosphère de l’Italie de funestes grondements et du pressentiment d’une inéluctable tempête.
Sitôt après le meurtre du député socialiste, cléricaux du parti populaire, libéraux de gauche, ainsi que quelques groupes plus petits, au total 117 députés – a quitté la Chambre et s’est installé sur l’Aventin tel quelque contre-parlement croupion. Et bien que cette opposition représente une minorité sans laquelle la Chambre peut et continue de fonctionner, bien qu’elle soit fort bigarrée dans sa composition et désunie quant à ses objectifs finaux, son action s’est néanmoins révélée vive et fructueuse. La presse sans distinction : socialiste, libérale, cléricale, a notamment bien servi l’opposition. Car l’opposition compte avec elle les plus grands, les plus éminents quotidiens d’Italie. Emmenée par le Corriere dela serra, le combattif Il Mondo, et le libéral modéré Giorno d’Italia, cette presse a mené un combat systématique et opiniâtre, d’abord contre les tueurs et ceux qui les ont engagés, puis contre le fascisme lui-même. Cette presse a entretenu en permanence l’émotion du public dont elle a très adroitement attisé et soutenu la révolte morale, elle a sondé les motivations du crime et élargi sans cesse le cercle des responsabilités, tant matérielles que morales. Sont tombés victimes de cette action, outre les coupables, nombre d’intellectuels hiérarques du fascisme. Le chef du bureau de presse du gouvernement, Cesare Rossi1, a été appréhendé. Les sous-secrétaires Acerbo et Finzi ainsi que l’illustre chef de la police le général de Bono ont été contraints de se retire dans des circonstances très pénibles. Le processus de mise en accusation du fascisme était enclenché ; et dès lors, il était certain qu’il ne stopperait pas, même devant la personnalité de Mussolini.
À la fin décembre de l’année dernière, le quotidien romain Il Mondo a publié un document de teneur inhabituelle, un mémorandum du détenu Cesare Rossi. Alors qu’il continuait à se cacher de la police, se sentant abandonné par les siens et « sacrifié aux adversaires du fascisme », Rossi a tenté de se défendre et, à la manière des petits délinquants, rejeté la majeure partie de la faute sur ses amis d’hier, en fait sur le chef du fascisme, Mussolini lui-même. De la confession de Rossi, Mussolini transparaît avec un visage tout neuf, qu’on ne lui connaissait pas jusque-là ; non seulement ombrageux, impulsif et implacablement honnête à l’image de celui que nous étions accoutumés à contempler dans son action publique et dans d’innombrables anecdotes et biographies, il s’est métamorphosé en un Machiavel calculateur qui sait habilement masquer son « tempérament violent et assoiffé de sang ». selon les dires de Rossi, alors même que Mussolini tenait ses discours d’apaisement sur la normalisation et la consolidation de la situation, avec un cynisme rare et un lexique impossible à reproduire, il ordonnait le passage à tabac des députés Amendola, Misuri2, et du fasciste dissident Formi. Il n’est, affirme Rossi, quasiment aucun acte de violence que Mussolini n’ait ordonné, approuvé, ou dont il n’ait au moins eu vent.
La presse fasciste elle-même n’a pas cherché à contester l’authenticité de ce document ; mais elle en a récusé toute portée, arguant du caractère vague des accusations, arguant aussi de l’état psychologique singulier de Rossi lorsqu’il les formulait.
Néanmoins, et indépendamment de ce document, la situation dans le pays ne cessait de se détériorer. À la terreur des autorités et cacique fascistes locaux, les dits « rats »3, a répondu la création d’une association expressément antifasciste. Libera Italia, qui s’est ramifiée dans toute l’Italie. À la campagne toujours plus virulente de la presse antifasciste, le gouvernement a quant à lui répliqué par le décret sur la presse, conférant aux préfets un pouvoir quasi illimité de saisie ou d’interdiction des journaux qui écrivent contre le gouvernement ou l’ordre fasciste. Aux attaques violentes et aux réquisitoires des journaux d’opposition, la direction du parti fasciste a réagi par l’envoi à toutes les rédactions de sa propre presse d’une circulaire appelant à collecter et à publier sans vergogne tout ce qu’elles savent de défavorable touchant à la vie privée et à l’intimité de certains opposants au fascisme.
À un coup répond un autre coup. À la menace de la presse d’opposition de traîner devant le tribunal populaire et d’engager la responsabilité personnelle des dirigeant du parti fasciste, la presse fasciste réplique dans une langue à la fois trop véhémente pour l’Italie et trop tranchante pour les fascistes.
Farinacci4, le célèbre rats de Cremone, indique à « ceux de l’Aventin » qu’« ils ne pourront se saisir du pouvoir qu’une fois tous les fascistes expédiés ou au bagne ou aux cimetière ».
Militia, le journal du député bien connu de Triste Giunto, déclare : « Il est clair que ne nous effraient ni l’idée de mourir, ni la nécessité de tuer. C’est aujourd’hui un commandement quotidien et cela deviendra le mot d’ordre de demain. » Un autre journal fasciste de province informe les opposants : « Nous vous attendons sur la place ! » et appelle les fascistes à « nettoyer leurs revolvers et aiguiser leurs couteaux ».
Les actions menées par le gouvernement et les méthodes du fascisme aliènent peu à peu les derniers éléments non fascistes qui ont jusqu’alors soutenu le gouvernement. Et les députés qui n’ont pas pris part à l’exodus sur l’Aventin, mais sont demeurés à la Chambre sans être fascistes, passent à l’opposition (le groupe constitué par trois ex-ministres du président, Salandre, Giolitti, Orlando). De sorte que ces tout derniers temps le gouvernement affronte deux oppositions : l’une sur l’Aventin, et l’autre, plus réduite, au sein même de la Chambre.
Voyant qu’on le quitte en nombre et que personne ne le rejoint, Mussolini se résout à employer une double tactique : battre en retraite et passer à l’offensive en même temps. Dans cette atmosphère toujours plus étouffante, avec profit il met en pratique sa méthode éprouvée d’attaque surprise. Alors qu’ont l’espérait le moins, il soumet à la Chambre un projet de réforme de la loi électorale, projet qui représente l’abandon du système fasciste d’Acerbo et signifie le retour à l’ancien système : circonscription électorale, et scrutin uninominal. Mais dans le même temps, il présente des projets législatifs et des réformes (loi sur les sociétés secrètes, modification du code pénal, etc.) qui lui permettront de poursuivre sans entraves ses adversaires. Dans le discours qu’il a tenu ces jours-ci devant la Chambre, M. Mussolini a de nouveau fait l’une de ses sorties savamment calculées. Il a déclaré « devant cette assemblée et face au peuple italien tout entier endosser personnellement toute la responsabilité morale, politique, et assuré que, jusqu’à présent, il avait tenté de tempérer l’ardeur des forces jeunes du fascisme victime d’une provocation, mais que désormais la mesure était comble et sa patience à bout, et que « dans les 48 heures il aura[it] totalement clarifié la situation ».
Le discours n’était pas moins brillant et adroit que ceux prononcés jusqu’ici et rappelait, qui plus est, celui, célèbre, tenu le 16 novembre 1922 devant une assemblée médusée. Mais on sentait simultanément que les temps ont changé, que le vent souffle aujourd’hui de l’Aventin, que le duce est contraint de se défendre comme tout ministre mortel, que sous un courroux habilement feint se tapit l’inquiétude.
Sitôt après le discours de Mussolini s’est ensuivie la clarification annoncée de la situation : aggravation des poursuites contre la presse, interdiction des sociétés, et myriades de perquisitions. Néanmoins, et même s’il s’est écoulé plusieurs fois 48 heures, la situation n’a pas été clarifiée pour autant. À toutes ces persécutions, l’opposition a répondu par son manifeste du 9 janvier 1925 qui dit à peu près ceci :
Plus soudée et déterminée que jamais, l’opposition de l’Aventin incrimine le gouvernement et le président qui, s’il était citoyen privé dans un pays libre, devrait se défendre devant un tribunal alors que là, il s’abrite derrière sa fonction. Le fascisme n’est pas parvenu ni pour lui-même ni pour l’Italie à instaurer un ordre stable : pendant ses deux années de gouvernement, qui furent chargées de souffrances pour tout non fasciste, a mûri dans le peuple une expérience qui signifie la condamnation du fascisme, une condamnation sans appel. Car 1925 n’est pas 1922. Que le fascisme accentue à son gré sa pression et multiplie ses actes de violence, et c’est l’Italie toute entière qu’il transformera en Aventin, etc.
Voilà aujourd’hui l’état d’esprit qui règne en Italie. Fascisme et antifascisme se ruent l’un vers l’autre telles deux forces irréconciliables qui sont lancées à toute allure et qu’attend une catastrophique collision. L’un et l’autre camp possèdent leurs combattants et leurs armes, leurs fanatiques et leurs martyrs. Éviter un affrontement sanglant sera-t-il possible ? Quelle forme prendra-t-il, s’il se produit, et quelles en seront les conséquences ? Telles sont les questions que se pose aujourd’hui le public italien.
Les intérêts moraux et matériels de l’Italie sont de nouveau menacés au yeux de l’étranger ; les mots « guerre civile », oubliés depuis 1921, effectuent leur retour dans le lexique des journalistes.Vu la versatilité des masses italiennes et la rapidité avec laquelle se modifient de manière fréquente et inopinée le scenarium politique et le rapport des forces en présence, il serait malaisé de dire toutes les formes que prendra la bataille qui se livre aujourd’hui en Italie et à quel moment interviendra la décision. Il n’est qu’une seule constante : dans cette bataille, le fascisme se trouve, et toujours davantage, en fâcheuse posture. À une vitesse incroyable, suicidaire, il gonfle le nombre de ses adversaires, et la masse de ceux qui font les gros yeux à ses actes inconsidérés ne faiblit pas. Et toujours plus, il affiche son incapacité tant à se gouverner qu’à gouverner. Reste une interrogation : de quelle manière et à quel moment le fascisme va-t-il quitter le pouvoir – après un bain de sang et une rupture ou au terme d’une crise politique et parlementaire plus ou moins tempétueuse ? En d’autres termes, M. Mussolini va-t-il faire usage de la force dont il dispose ou quitter le Palazzo Chigi en grand seigneur résigné, « sans claquer la porte derrière lui » ?
Jugoslavenska njiva, Zagreb, 16 juillet 1925
Dans la théorie du fascisme est apparue une situation nouvelle, digne d’intérêt en vue d’un examen objectif. Le fascisme jubile pour la deuxième fois. Pas même au temps de son ascension au pouvoir en octobre 1922 il n’a été plus organisé, plus déterminé et plus combattif. Trébuchant sur la dépouille de Matteoti, il a vacillé mais sans chuter, puis s’est rapidement ressaisi et a poursuivi son chemin. Aujourd’hui, l’opposition qui s’était retirée sur l’Aventin est discordante, irrésolue, et déjà débat de son retour à la Chambre ou de la continuation de l’abstention. Le jour anniversaire de l’assassinat de Matteoti, le 10 juin de cette année, elle n’a pas été à même de tenir une seule commémoration publique. Sa presse est paralysée par des mesures draconiennes. La milice fasciste, ainsi que l’exigeait l’opposition, n’a nullement été dissoute mais est plus forte et mieux armée qu’auparavant. M. Mussolini lui-même détient trois portefeuilles. Telle est la situation aujourd’hui.
Mais il faut voir ce qu’il en a coûté au fascisme pour contrer et réduire au silence ses adversaires et pour se maintenir au pouvoir. Il a fait en sorte d’honorer une lettre de change d’un montant moindre en l’acquittant par une autre, supérieure, de façon à transformer carrément et définitivement la crise du fascisme en crise de l’Italie. De la « normalisation de la situation », tâche naguère fixée par M. Mussolini comme l’une de celles, majeures, incombant aux gouvernants, plus un mot. On ne parle plus de l’agonie des esprits, thème jadis chéri, mais de guerre d’extermination. Les barrières spirituelles sont plus élevées que jamais.
Le cap pris par le fascisme après le discours intransigeant de Mussolini du 3 janvier de cette année est tenu à toute vapeur. Depuis lors et jusqu’à aujourd’hui sont survenus en ce sens de nombreux et importants changements : la nomination comme secrétaire général du parti fasciste de l’illustre Farinacci, la terreur de la province de Cremone, le représentant du fascisme le plus extrémiste, le plus braillard, le plus violent ; le vote de toute une série de lois et la prise de toute une série de mesures ayant pour finalité la constitution d’une « Italie fasciste » : loi sur le droit de vote des femmes aux élections municipales, lois sur les sociétés secrètes, loi sur la fonction publique, loi sur la presse, etc. Toutes ces lois ont été élaborées à la manière fasciste, sans grands scrupules et sans égard aucun pour les dispositions de la Constitution, les usages et traditions politiques, les sentiments et opinions de la partie non fasciste de l’Italie. La manière dont ces lois ont été adoptées est plus symptomatique encore. Le projet sur le vote des femmes par exemple avait été repoussé lors de la Commission parlementaire par une majorité des voix. Mais lorsque M. Mussolini a fait savoir que sa volonté était que cette loi fût votée, la Commission l’a tout bonnement adoptée et défendue devant la Chambre comme sienne. Les juristes de cette Commission ont ouvertement déclaré devant le plenum que, de par leurs convictions, ils demeuraient encore et toujours adversaires de cette loi, mais qu’en « fascistes disciplinés ils se soumettraient à la volonté du Chef » et votaient en faveur de son adoption.
La loi sur la fonction publique, unique par sa forme et par sa teneur, tient en ceci : d’ici le 31 décembre 1926 le gouvernement est en droit de mettre à la retraite d’office ou d’exclure du service de l’État tout fonctionnaire ou employé qui, « par son comportement dans l’exercice de ses fonctions ou en dehors de ses fonctions, ne donne pas une entière garantie de sa fidélité dans l’accomplissement de sa tâche ou qui se place dans une situation incompatible avec les grandes directives politiques du gouvernement ».
C’est en pure perte que la peu nombreuse opposition – les quelques députés non abstentionnistes – a attiré l’attention sur la grande nocivité de cette loi et sur les conséquences infinies qu’elle engendrerait au sein de la magistrature, de l’armée, etc. Même les fascistes modérés ont insisté pour que la loi fût assouplie. Deux de ces députés, en signe de protestation, ont démissionné de leur mandat. Mais rien n’y a fait. Le Chef est demeuré inflexible, et avec ferveur la majorité a voté cette loi également. Et désormais va commencer le nettoyage.
Les discours tenus le 21 juin de cette année lors du congrès fasciste de Rome expliquent le mieux cette manière de gouverner. Mussolini en personne a dans le sien glorifié la force et la violence comme étant « profondément morales » lorsqu’elles s’exercent au nom d’un idéal. Il s’en est pris tout particulièrement aux intellectuels. Sous les applaudissements enthousiastes du congrès, il a déclaré : « Je l’avoue, je n’ai pas lu une seule page de Benedetto Croce !5 » Le secrétaire général du parti et ex-cheminot, Farinacci, lançait quant à lui avec emphase : « Depuis toujours, nous sommes méprisés par la grande érudition et les dits intellectuels. » Inutile, selon lui, d’avoir quantité de courants. « Quelques idées, mais qu’elles soient claires ! » Le fascisme dévoile ainsi toujours davantage l’un de ses traits essentiels : l’anti-intellectualisme.
Nous avons déjà souligné dans les articles précédents consacrés au fascisme certaines similitudes que présentent fascisme et futurisme. Si les futuristes depuis tous temps sont fascistes, les fascistes deviennent, semble-t-il, de plus en plus futuristes. Au congrès de cette année, Mussolini lui-même a déclaré qu’il ne suffit pas que le fascisme soit un parti, il lui faut devenir un mode particulier de vie dont les composantes sont « avant toute chose l’audace, l’intrépidité, l’amour du risque, et le dégoût du pacifisme grassouillet ». Dans la vie publique comme dans la vie privée, il faut toujours être prêt à risquer sa vie, il faut mépriser toute immobilité et mollesse. De cette manière le type du nouvel Italien verra le jour, et il sera possible de parler de « l’homme fasciste » ainsi que l’on parle de « l’homme de la Renaissance » ou de « l’homme de Rome ». Le fascisme doit être un laboratoire où, par une sélection artificielle, se créeront de nouveaux types et de nouvelles classes qui réaliseront l’objectif principal du fascisme : l’avènement de l’Empire italien. Et sur le chemin menant à cet objectif le mot d’ordre est : « Premièrement, intransigeance absolue s’agissant de notre idéal et de sa pratique ; secondement, tout le pouvoir dans les mains du fascisme. »
Ainsi parlait M. Mussolini qui est ministre président, ministre de la Guerre, et ministre des Affaires extérieures. Et le journal fasciste Impero est encore plus explicite et déterminé. Dans sa livraison du 18 mai de cette année il dit :
« Le fascisme ne pourra jamais s’acquitter de sa formidable mission sur le seul terrain politique. Le fascisme procède de la guerre, et c’est par la guerre qu’il doit s’achever. Notre pays ne pourra atteindre de but que par une grande guerre que nous ne provoquerons ni ne chercherons, mais au devant de laquelle nous irons avec la sérénité et la bravoure qui sont l’apanage des peuples élus pour gouverner le monde. Si la dernière guerre fut une guerre de libération, celles à venir sera une guerre pour la suprématie. Le peuple italien est un peuple de saints, de guerriers et de rhapsodes qui conquerront l’avenir grâce au feu mystique de leur foi… La future guerre sera – pardonnez le calembour - une guerre futuriste. Ce sera l’effort conscient, délibéré, optimiste, et orgueilleux d’un peuple sain, fort, et avide d’expansion et de domination… »
Tous ces discours et écrits, qui nous rappellent involontairement les idéologues allemands de la guerre et de l’avant-guerre, n’ont peut-être pas en eux-mêmes grande signification dans un pays accoutumé à l’emphase et au paradoxe. Mais en tant que symptômes ils sont intéressants et édifiants. Pour qui a suivi l’essor du fascisme, ils révèlent le mieux la déviation de ce mouvement sur le chemin qu’il suit. La situation intérieure du pays le pousse toujours avant sur cette voie mauvaise et oblique. L’opposition, pour hétéroclite, désarmée, désarçonnée par une série de mesures radicales qu’elle puisse être, oppose une résistance opiniâtre et sourde partout dans le pays. Une presse souterraine apparaît et l’esprit de l’opposition se propage par le chuchotement, ce recours séculaire des insatisfaits et persécutés.
Dans le même temps le gouvernement est confronté aux graves difficultés économiques que traverse le pays, notamment le problème de la devise italienne dont les dangereuses oscillations inquiètent sérieusement. M. Mussolini déploie toute sa formidable énergie. Cette année, celui qui gouverne l’Italie ne prendra pas de vacances d’été.
1 Cesare Rossi (1887 – 1967), fasciste de la première heure, se constitue prisonnier lorsque éclate le scandale de l’assassinat du député socialiste Matteoti. Le 27 décembre 1924, Il Mondo publie un mémoire du détenu, dans lequel il accuse Mussolini d’avoir ordonné le crime.
2 Alfredo Misuri, fasciste dissident, fondateur en 1924 du mouvement Patria e Libertà.
3 Les rats sont les chefs des milices du Parti national fasciste. Ce terme d’origine éthiopienne est arrivé en Italie après la première guerre d’Éthiopie (1885 – 1896).
4 Roberto Farinacci (1892 – 1945) fut secrétaire du parti national fasciste. Il ne manque pas de conjectures concernant la participation de Farinacci à l’assasinat de Matteoti et il est soupçonné d’une implication directe et opérationnelle dans la séquestration et dans l’élimination du parlementaire socialiste. Il fut le principal artisant des lois raciales (Leggi razziaili), proclamées le 18 septembre 1938 par Mussolini. Farinacci est exécuté par les partisans à Vimercate le 28 avril 1945.
5 Benedetto Croce (1866 – 1952), écrivain, philosophe et homme politique, fut un opposant résolu au fascisme, dont il condamnait le racialisme et ses présupposés racistes. Après la Seconde Guerre mondiale il fut élu à l’Assemblée constituante de la République italienne.
Document(s) attaché(s) :
-
no attachment