3 femmes, palestinienne, israélienne et française sous le feu de Gaza
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Posted on Tuesday 20 November 2012, 12h00 - updated on 18/05/13 - Palestine - Permalink
3 femmes, 3 destins différents, vivant actuellement à quelques kilomètres l’une de l’autre sans se connaître, de part et d’autre de la bande de Gaza, réagissent à la violence qui y déferle depuis une semaine, à l’injustice, aux mensonges et au déséquilibre inhumain des rapports de force.
Que leurs témoignages associés contribuent aux processus diplomatiques qui semblent se relancer {ce mardi matin 20 novembre 2012], alors qu’Israël cède aux pressions égyptienne et internationales ainsi qu’à l’opprobre de la communauté mondiale en renonçant, pour l’heure, à l’invasion terrestre annoncée de Gaza. Que tous ces bombardements aveugles cessent définitivement !
Eman Qwayder est une étudiante palestinienne qui habite, avec toute sa famille, dans le camp de réfugiés de Nuseirat au milieu de la bande de Gaza. Elle témoigne de l’horreur à vivre à Gaza dans la situation actuelle en écrivant à son frère actuellement en France.
Mihal Wasser est une enseignante israélienne qui vit au kibboutz Kfar-Aza, situé à trois kilomètres de Gaza. Dans le quotidien israélien Haaretz du 15 novembre (traduction en français), elle s’insurge contre Tsahal et le gouvernement Netanyahu-Liberman-Barak : “Ne nous défendez pas – pas comme ça”, dit-elle.
Note de la rédaction : tout en respectant le message courageux de cette femme israélienne, nous ne pouvons que déplorer le terme de “défense” qu’elle emploie pour un Etat colonaliste quotidiennement agressif et violent sur bien des plans depuis sa création, il y a 64 ans.Chomski y donne une réponse sans équivoque (cf en fin d’article). Il semble qu’elle devrait, elle aussi, à titre individuel, s’interroger sur cet abus de langage significatif.
Claude Sarah Katz est démographe, retraitée du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), spécialiste en analyse de données à l’université Al Azhar de Gaza. Elle est actuellement envoyée spéciale du mensuel CQFD à Gaza et publie sur le blog du Monde Diplomatique, indignée du déni de justice, du déni de droit de vivre et des mensonges exprimés non seulement par les politiques, mais aussi par les médias et les grandes organisations populaires occidentales. Elle rappelle le texte de l’Affiche rouge que les nazis avaient placardée dans tout Paris en 1944.
Pour conclure ces témoignages de la folie meurtrière, en bas de cet article, une déclaration de Noam Chomski :
Témoignage d’Eman Qwayder ( le 16 novembre 2012 - Source) :“Ce n’est pas une guerre, c’est un massacre.”
“On ne peut parler de défense quand on occupe la terre de quelqu’un d’autre.”
“A Gaza, il n’y a pas de lieu où se réfugier. Chacun d’entre nous attend ce qu’il adviendra de lui. En d’autres termes, chaque minute vous avez le sentiment que vous pourriez être la prochaine victime de la bande de Gaza. La force et la puissance dont Israël use contre nous est disproportionnée. Israël mobilise toute ses forces de l’armée de l’air, y compris F16 et drones, contre nous.
Juste à côté de notre maison, il y a eu au moins 8 frappes aériennes. Chaque raid aérien fait trembler nos portes et nos fenêtres, provoquant un grand état de panique pour nos vies et surtout pour celles de nos enfants. Lors de ces trois dernières nuits, notre plus grand souhait a été de pouvoir disposer de quelques heures de sommeil.Mon père est allé au marché pour nous acheter de la nourriture, nous avions très peur de le laisser sortir car il aurait pu être atteint par des drones israéliens. Nous nous sommes enfermés dans une chambre, avec un accès limité à la communication en raison de coupures d’électricité provoquées et régulières.
La nuit est très effrayante pour nous car Israël intensifie ses frappes aériennes qui traversent toute la bande de Gaza. Peu importe où vous êtes dans la bande de Gaza, on peut facilement entendre les explosions massives et fortes et on ne peut imaginer la situation terrible que peuvent vivre nos familles et nos amis sujets aux bombardements.
Nous écoutons les stations de radio locales de Gaza. Chaque minute, il y a des rapports de décès, de blessures et de destruction de nos maisons, des écoles et des infrastructures. A Gaza, les zones vierges ont été régulièrement bombardées.
Gaza est une zone très densément peuplée par les civils. Ces bombardements ont pour objectif de nous terroriser. Nos enfants portent des cicatrices physiques et mentales du traumatisme d’une guerre sans défense. Je dis toujours que nous sommes des enfants.Nous n’avons rien fait pour mériter cette brutalité. Alors que nos enfants ont été confrontés à la menace quotidienne de la violence et de la mort venant du ciel, ils ont dans le même temps été soumis à un régime de famine visant à endommager leur développement physiologique.
S’il vous plaît, envoyez un courriel et sollicitez les représentants du gouvernement pour leur demander de mettre fin à ce carnage. Nous demandons seulement à être traités avec le minimum de décence humaine. Nous ne pouvons plus supporter et solutionner cette situation.”
Mihal Wasser ( le 15 novembre 2012 - Source) :
Les notes entre [crochet] ont été ajoutées par les traducteurs pour contextualiser les propos de l’auteure.
” La première chose que je veux dire est ceci : ne me défendez pas, s’il vous plaît. Pas de cette manière.
Je suis dans ma «chambre sûre» [la pièce prévue, dans tous les foyers israéliens, pour s’y réfugier en cas d’attaque], au kibboutz Kfar-Aza, et j’écoute les bombardements de la guerre généralisée qui se déroule à l’extérieur. Je ne sais plus distinguer «nos» bombardements de «leurs» bombardements. À vrai dire, les enfants du kibboutz font cela mieux que moi; leur «oreille musicale» s’est développée dès le plus jeune âge, et ils savent distinguer un obus d’artillerie d’un missile tiré depuis un hélicoptère, et un obus de mortier d’un Qassam [missile]. Qu’ils soient bénis.
C’est à cela que ressemble la «défense du foyer» ? Je ne comprends pas : est-ce que tous nos dirigeants dormaient durant leurs cours d’histoire ? Ou peut-être ont-ils étudié selon le programme [scolaire] du Mapaï [le parti travailliste, au pouvoir en Israël entre 1949 et 1977] ou celui de [l’actuel ministre de l’éducation membre du Likud] Guideon Saar (je suis désolée de dire que la différence entre les deux n’est pas si grande), et ont-ils mal compris le mot «défense» ? Est-ce que défendre la sécurité des citoyens, cela signifie mener une guerre totale toutes les quelques années ? Est-ce qu’aucun homme politique n’a entendu l’expression «planification à long terme» ?
Si vous voulez me défendre, alors, s’il vous plaît, n’envoyez pas Tsahal [l’armée israélienne] avec pour mission de «gagner». Commencez à penser sur le long terme, et pas seulement dans la perspective des prochaines élections [prévues en Israël le 22 janvier 2013]. Essayez de négocier jusqu’à ce qu’une fumée blanche sorte de la cheminée. Tendez la main à Mahmoud Abbas. Cessez les «exécutions ciblées», et regardez aussi les civils d’en face droit dans les yeux.
Je sais que la majorité du public m’accusera d’être «une belle âme». Mais c’est moi qui suis ici, au moment où les obus de mortier tombent dans mon jardin, et pas Saar ni le premier ministre Binyamin Netanyahou – et pas non plus [la dirigeante travailliste] Shelly Yacimovich ni [le dirigeant du parti centriste Yesh Atid] Yaïr Lapid. C’est moi qui ai choisi d’élever mes enfants ici, bien que j’aie eu et que j’aie encore d’autre options.
On peut m’accuser de manquer de sionisme, on peut m’accuser de mollesse et de faiblesse de caractère, mais il est impossible de m’accuser de pratiquer un double langage. Mes enfants ont servi dans des unités combattantes, en plus de l’«année de service» [service civique] qu’ils ont effectuée, à titre bénévole, pour le pays. Nous vivons ici, et nous aimons ce pays.
Notre combat à nous est un combat pour la forme que revêt l’Etat, pas pour ses frontières. Pour sa nature démocratique, et pour la dignité humaine en son sein. Pour la raison. Alors, cessez de tuer des civils de l’autre côté de la frontière afin de protéger ma vie.
Si vous voulez mettre un terme aux actions hostiles qui proviennent de l’autre côté, ouvrez vos oreilles et commencez à écouter. Si vous vous souciez de nous, cessez de nous défendre par des missiles, des actions «ciblées» et des «vols dissuasifs». En place de l’opération « Pilier de Défense » [nom de code de l’opération militaire en cours] lancez-vous dans une opération “Espoir pour l’Avenir”. C’est plus compliqué, il faut pour cela de la patience, et c’est moins populaire. Mais c’est la seule issue possible.”
Claude Sarah Katz (extraits, le 16 novembre 2012 - Source) :
”(…) Devant la disproportion effarante des forces, une population civile, coincée entre barbelés et mer, littéralement écrabouillée par une très puissante armée, la « communauté internationale » va-t-elle réagir ? Nullement — en tout cas pas sans y être contrainte par l’opinion publique. Le Conseil de sécurité de l’ONU s’est réuni cette nuit et a décidé de ne rien dire. Cela donne dans les dépêches d’agence des titres quasi anodins (comme : « UN takes no action on Israel strikes »). Un des participants aurait déclaré que le fait que cette réunion ait eu lieu était déjà un signe positif. Merci pour les familles qui mourraient sous les bombes des F16 israéliens au même moment.
Comment peut-on en arriver là ? Que les puissants qui nous gouvernent aient leur propre vision du partage du monde et de ses richesses, et que dans cette vision les populations soient une simple variable d’ajustement, soit. Mais la presse ? Les organisations populaires ? On arrive à ce déni de toute justice, ce déni du droit de vivre pour les Gazaouis, par une longue série de mensonges et de désinformation.
Cela commence et finit par le renvoi dos à dos, au mieux, des « protagonistes ». A titre d’exemple, le secrétaire général des Nations unies, M. Ban Ki-moon, lequel exprime au premier ministre israélien Benjamin Netanyahou ses « préoccupations devant la détérioration de la situation dans le sud d’Israël et dans la bande de Gaza, ce qui inclut (which includes) l’escalade alarmante des tirs indiscriminés de missiles et les assassinats ciblés par Israël de responsables militaires du Hamas » [[1]].
Ainsi, d’un côté, les terroristes palestiniens lancent des roquettes sur des objectifs « indiscriminés » — donc la population civile —, et de l’autre Israël, qui tue « proprement » un important chef militaire du Hamas. Au regard de la réalité du terrain, des bombes qui explosent autour de nous, des images affreuses d’enfants brûlés, c’est simplement ignoble — mais inattaquable en droit, grâce à l’astucieux « qui inclut ».
Alors, ne pas perdre de vue d’autres éléments, autrement importants, dont l’absence rend ce tableau parfaitement mensonger.
Non, Gaza n’est pas un endroit qui pourrait être calme et vivable si des fous furieux ne s’acharnaient pas à lancer des roquettes sur le paisible Israël. Gaza suffoque avec un nœud coulant au cou. Aucune décision sur sa vie ne lui appartient. Toute la vie économique a été tuée par l’interdiction d’exporter. Gaza est une cage où une puissance étrangère décide de tout, la quantité des denrées qui entrent ou n’entrent pas, les lieux où les gens pourront rester en vie et ceux où ils seront abattus, le moment où ses chars entreront arroser quelques kilomètres carrés de leurs engins explosifs et les moments où on pourra avoir l’impression de vivre. Je suis à Gaza depuis treize jours, mes notes quotidiennes sont faites de corps déchiquetés, de parents à bout de pleurs et du silence des comas. La mort à Gaza est comme la colonisation en Cisjordanie : quel que soit l’état des négociations de paix, la colonisation avance au même rythme en Cisjordanie, et quel que soit l’état de la résistance, l’armée israélienne tue quotidiennement à Gaza. Cette phrase n’est pas une envolée rhétorique mais un constat statistique.
Chaque fois que la population de Gaza tente de relever la tête, le nœud coulant se serre un peu davantage [[2]]. A titre d’exemple : les accords d’Oslo, marché de dupes s’il en fut, dessinent une zone accessible à la pêche pour les bateaux de Gaza d’une largeur de 20 miles nautiques (37 kilomètres). Pour punir les Gazaouis, après le déclenchement de la seconde Intifada, cette zone est ramenée arbitrairement, et du seul droit du plus fort, à 12 miles en 2000, puis à 6 miles en 2003. Depuis 2006, elle a est restreinte à 3 miles, limite imposée par des navires de guerre omniprésents. De ce minuscule espace de pêche, les bateaux ne peuvent ramener qu’une misère et l’ensemble de l’activité est sinistrée [[3]]. Si on oublie cet aspect du constat, le mépris, la brutalité, le traitement de cette population comme étant privée de tous droits, ne survivant que selon le bon plaisir de son vainqueur, on ne peut rien comprendre à l’existence d’une résistance.
C’est la même logique qui préside aux bombardements d’aujourd’hui : se venger sur la population civile des actions de résistance. Ceci a un nom : punition collective. Et appartient, en droit international, à la catégorie crime de guerre.
Nous savons bien tous, ou croyons savoir, que résister est non seulement un droit, mais un devoir. Ici la résistance est petite et morcelée, décimée par les assassinats dits « ciblés », confrontée à une terrible machine de guerre, mais elle existe. Et comme toute résistance, c’est à elle qu’on impute les malheurs de la population. Relisez le texte de l’Affiche rouge et ce que les nazis avaient écrit sur cette affiche placardée dans tout Paris : « Des libérateurs ? La libération par l’armée du crime ! ». Ceux dont nous nous rappelons avec affection et respect les actions, les résistants sur le sol français, étaient désignés alors comme terroristes, responsables de la « malheureuse » nécessité, pour l’armée d’occupation allemande, de procéder en représailles à des prises d’otages et à des exécutions sommaires. (…)”
Noam Chomsky : Appeler un chat un chat : “Ce n’est pas une guerre, c’est un massacre”
_________________________________“L’invasion et le bombardement de Gaza n’ont pas pour but de détruire le Hamas. Ils n’ont pas pour but d’arrêter les tirs de roquettes sur Israël. ils n’ont pas pour but de parvenir à la paix.
Cette décision israélienne de semer la mort et la destruction à Gaza est l’aboutissement d’une entreprise de nettoyage ethnique des Palestiniens qui dure depuis des décennies.
Les armes sophistiquées israéliennes qui atteignent par air et par mer des zones densément peuplées, des camps de réfugiés, des écoles, des immeubles d’habitation, des mosquées, qui attaquent une population qui ne dispose ni de forces aérienne ou navale, pas d’équipements lourds, pas d’armée, ne constituent pas une guerre. Ce n’est pas de la guerre, mais de l’assassinat.
Et quand les Israéliens expliquent qu’ils doivent se défendre alors qu’ils sont dans des territoires occupés, il s’agit de la défense d’un occupant militaire face à une population occupée et opprimée. On ne peut parler de défense quand on occupe la terre de quelqu’un d’autre. Trouvez un autre mot !”
En date et heure de la trêve signée avec la médiation de l’Egypte, le mercredi 21 novembre, le solde des victimes dans la bande de Gaza pour cette dernière semaine s’élève à 162 morts et 1221 blessés dont une proportion globale de 16% de femmes et de 34% d’enfants.
Eman Qwaider vous encourage vivement à signer la pétition soutenant la lettre ouverte à Obama (en anglais).
Notes :
[1] « UN Security Council meets, takes no action on Israel strikes », Ma’an News Agency, 16 novembre 2012.
[2] Lire le témoignage de Noam Chomsky, qui s’est rendu sur place du 25 au 30 octobre, « Impressions de Gaza », Palestine Solidarité, 10 novembre 2012.
[3] Lire Joan Deas, « A Gaza, la mer rétrécit », Le Monde diplomatique, août 2012.
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