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« Une ambition intime » ou la politique poussée vers le caniveau

Cela sonne comme un aboutissement, l’aboutissement d’une époque calamiteuse au plan de l’indécence notoire de la classe politique dominante et des médias de masse tout à la fois. Cela se passe à la télévision telle qu’on la fait aujourd’hui dans l’espoir de crever le plafond de l’audience. Cela a lieu sur M6, là où voilà une quinzaine d’années « Loft story » lançait le cycle vulgaire de la télé-réalité. En 2016, à quelques mois de la prochaine Présidentielle, la chaîne à sensations bon marché invente avec « Une ambition intime » un nouveau concept racoleur ; tous les candidats à la magistrature suprême vienne y répandre les avatars de leur vie privée. Les mêmes qui dénonçaient la « télé-poubelle » que constituait les batifolages de la pathétique Loana et de ses comparses se précipitent désormais sur le plateau de la nouvelle émission afin d’être la proie consentante de l’instinct voyeur de leurs congénères à l’ambition culturelle minimale.

Rapporté au contenu de l’émission, le titre en est pour le moins surprenant. Les invités étant des hommes et des femmes politiques nous pourrions imaginer de prime abord qu’il s’agit de comprendre ou d’aider à comprendre, à partir d’une pensée construite, comment le désir de servir leur pays s’est intimement insinué en chacun de ces êtres d’exception. Nous, citoyens encore intéressés par la chose publique, la fameuse res publica de nos ancêtres grecs, sommes soucieux d’apprendre comment le monde tel qu’il va peut – ou ne peut pas – inspirer à ceux qui prétendent nous représenter demain des idées neuves quand les vieilles recettes échouent partout. L’ambition intime nous fait facilement penser à l’intime conviction des jurés d’assises. Nous en serons pour nos frais, nous restons sur notre faim. Il s’agit en fait d’entrer, presque par effraction, tout bonnement dans l’intimité de la vie privée, d’aujourd’hui et d’hier, de l’invité acceptant une certaine mise à nu de sa personnalité grâce à des révélations plus ou moins indiscrètes sur la partie de son existence qui d’habitude reste dans l’ombre. La conversation est plaisante, sans aspérités. L’animatrice n’est pas, on le devinait aisément, une journaliste, encore moins une journaliste politique puisqu’il ne va pas être question de politique mais d’un dialogue à bâtons rompus avec une personne qui, tout bien pesé, doit paraître comme vous ou moi. Pour tout dire, la confidente se nomme Karine Lemarchand, un pur produit de la médiacratie médiocre édifiée patiemment depuis trente ans avec l’avènement, entre autres calamités, des chaînes privées de télévision après lesquelles les chaînes publiques n’avaient plus qu’à courir désespérément. On aura remarqué l’ironie du patronyme de la dame quand la politique elle-même est devenue une affaire de marché ! Par petite touche elle va faire émerger les traits saillants permettant de dresser ce que l’on présentera comme le portrait d’un homme ou d’une femme sincèrement engagée pour ses idées dont on se gardera bien de mesurer la pertinence au regard des formidables défis du temps. Nous apprenons ainsi avec ravissement que l’un des invités voit régulièrement retomber les œufs en neige qu’il s’efforce de dresser avec acharnement. Osera-t-on confier les rênes du pays à un tel amateur ?

Évidemment, il y a tromperie, une tromperie de taille. C’est bien entendu l’invité qui dresse son propre portrait en décidant ce qu’il dévoile ou ne dévoile pas de lui-même. Et comme il est venu pour se mettre en valeur dans un but précis – celui que nous connaissons tous - il prendra le plus grand soin à enjoliver ou grossir certains évènements de son histoire personnelle tout en concédant beau joueur quelque défaut véniel. C’est ainsi que Marine Le Pen que l’on ose prétendre fort méchante est apparue très douce. Elle glissa au passage que quand elle était petite c’était très dur à la maison avec un père tellement autoritaire. Jean-Marie Le Pen en père fouettard ça n’étonne bien sûr plus grand monde. Admettons que la digne héritière ne soit pas vraiment méchante, ses idées le sont et… méchamment ! C’est cela qui devrait compter et qui pourtant ne compte pour rien. Alors, on attend Sarko, ancien président bling-bling, en bleu de chauffe crasseux. Pour le parler adéquat il n’aura pas à se forcer beaucoup. Et si François Hollande a décliné l’invitation c’est peut-être qu’il peine à se défaire de la posture du « grand méchant mou ». Il se murmure dans les milieux autorisés que ses conseillers en communication travaillent à lui fabriquer une vraie carrure et que l’entreprise n’est pas mince.

L’émission ici incriminée est emblématique de la lente descente de la politique, activité noble dans sa définition première, vers le caniveau des lieux communs. Devenu impuissant à gouverner les choses de la Cité depuis qu’elles ont été massivement confiées au diktat des marchés capitalistes le personnel politique cherche de nouveaux moyens pour continuer de plaire à un nombre suffisants de supporters surprenants par leur étonnante volatilité. À défaut d’être il faut paraître. Quand on n’est plus pleinement acteur du changement attendu du citoyen on exhibe son intimité au consommateur friand de détails croustillants. Nous n’avons pas encore tout vu, nous ne sommes probablement pas parvenu au bas de la funeste descente. Cependant, ne nous méprenons pas : si les politiques ne sont plus vraiment acteurs du changement destiné à corriger les maux de leur époque ils participent néanmoins du nouveau monde des affaires où, par exemple, la communication des groupes de pression est omnipotente. Mesurons bien le basculement qui s’est progressivement opéré : de moins en moins discrets sur leur vie privée les hommes et femmes politiques sont de plus en plus prompts à tenter de dissimuler leur implication dans des conflits d’intérêts ou des réseaux opaques de financement de la vie politique. Il est éminemment instructif de ce point de vue de se pencher sur les procédures d’attribution des « marchés publics ». De cette manière la politique existe encore. Mais là, circulez citoyens, il n’y a rien qui puisse vous regarder. C’est derrière le rideau que ce montent avec brio les œufs en neige de la démocratie marchandisée. Devant le rideau nous sommes des plus transparents, du moins pour les gogos préparés de longue date à avaler toutes les ficelles des artifices télévisuels.

La politique vit donc un drame et ne veut pas se l’avouer. Elle est à reconstruire. Ce devrait être aux citoyens de lancer la reconstruction. Les politiques nous doivent des comptes, et pas seulement des comptes de campagnes. Seulement voilà : comment repolitiser toute une société après des décennies de dévoiement de l’intérêt général au profit d’intérêts catégoriels, de diffusion massive de la culture consommationniste, de triomphe de la Communication contre l’Information ? Il est tant d’ouvrir le chantier. En faisant émerger de nouvelles figures politiques. Ce n’est pas pour demain matin mais telle doit être notre ambition intime à tous !


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Yann Fiévet

Author: Yann Fiévet

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