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Lettre à mon frère qui vote FN

Le Gard, notre beau département entre mer et montagne, a offert la première place à Marine Le Pen, lors du premier tour de l’élection présidentielle.

J’ai décidé de t’écrire mon petit frère, toi qui vote Sarkozy ou FN selon les saisons, toi dont la femme vote FN à temps plein, toi dont le fils a perdu la boussole et vote FN ou rien, j’ai décidé de t’écrire pour te rappeler le temps où nous allions cueillir des narcisses sur les bords du Gardon.

Je voudrais tant que tu te rappelles… Notre mère restait dans la voiture, elle a toujours été frileuse et les premiers jours du printemps, en Cévennes, sont froids. Nous allions, vêtus en dimanche, nos pas dans les pas de notre père, ce héros du quotidien, qui aujourd’hui aurait pitié de toi.

Tu t’en souviens, dis, de notre père, ajusteur de métier, un peu porté sur le pastis et commentant passionnément les dossiers de l’écran à la télévision. Un brave type, notre père. Il n’aurait pas aimé savoir que tu n’es plus capable de reconnaître la bête immonde, l’affreux fascisme ricanant, pour peu qu’on l’affuble d’une perruque blonde ou d’un échantillonnage de tics à l’épaule ou au menton.

Notre père qui n’est pas aux cieux, athée que je suis, m’avait raconté qu’un jour il avait vu un syndicaliste abattre une pioche sur le bureau du directeur des Forges d’Alès et qu’il en avait gardé un sentiment d’une intensité rare. Je crois qu’en cet instant il avait pris conscience de sa condition ouvrière comme condition de fierté et d’appartenance.

Toi, tu ne veux pas être ouvrier, tu n’appartiens qu’à ta télé, ta maison, ta bagnole… Agent de maîtrise, c’est ça ton titre. Mais le mépris de toi, petit frère, tu auras beau courir, tu l’auras toujours pendu aux fesses, comme la merde.

Et de notre frère, dis, tu t’en souviens. Chauffeur-routier, esclave de la route, il s’épuisait sur le bitume. Mort, à quarante ans, le lendemain d’un piquet de grève particulièrement dur, dans la neige et le froid, près de Bollène.

La grève avait commencé le 18 novembre 1997 et s’est achevée douze jours plus tard sans aucune avancée. Routiers glacés, brisés, carbonisés. Notre frère n’en a rien su. Mort pour le compte. Ces camarades de la CGT lui ont offert une couronne. Notre père ne s’en est jamais remis. Mort lui aussi, trois ans plus tard.

Et notre mère, dis, tu la vois. Femme de ménage à la retraite, obligée de demander de l’argent à sa fille (moi), pour se payer un appareil dentaire, après des années de labeur et avoir élevé quatre enfants.

Dépressions nerveuses, cachets, peur. Toujours la peur. Peur des fins de mois, peur de la rapacité de son banquier, peur de la méchanceté des voisins, peur du regard des merdeux qui l’apostrophent dans la cité. Elle se reconnaît néanmoins dans ce vote rouge qui lui fait peur car tout lui fait peur. Même Mélenchon, mais quand même il faut penser aux générations futures… Alors, malgré sa peur, elle vote encore. Rouge. Au nom de son père, son mari, son fils, ses petits-fils (le tien aussi). Au nom de tous les autres. Les inconnus du monde entier.

Petit frère, tu es plus mort que notre frère, plus mort que notre père. Tu es mort pour toi.


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Geneviève Confort-Sabathé

Author: Geneviève Confort-Sabathé

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