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La bonne santé numérique

Ils y croient dur comme fer : c’est le numérique qui va nous sauver. A condition cependant d’y mettre le paquet ! La crise sanitaire qui a frappé nos sociétés au premier semestre 2020 leur a formidablement révélé que le numérique apporte toutes les réponses qu’ils n’avaient pas encore osé mettre en œuvre. Le grandiose laboratoire inattendu autorise désormais les rêves les plus fous. Ils en sont convaincus tous ces tenants de la Croissance sans freins, le salut de l’Humanité passe forcément par le tout-numérique.

Les opérateurs du secteur ayant opportunément amassé un trésor de guerre durant la crise il faut leur permettre sans tarder de le faire fructifier maintenant que la paix économique revient. La 5G, entre autres prouesses techno-lucratives, va y pourvoir. Nos vies vont en être grandement facilitées, n’en doutons pas ! Et que dire de notre santé qui est bien sûr l’un des alibis commodes utilisé pour faire passer la pilule ? Rien que d’y penser on se sent déjà beaucoup mieux !

Alors surgit à point nommé le « Health Data Hub » ! Le HDH ou « Plateforme de données de santé » est un énorme fichier en création puisant à toutes les sources d’information sanitaires : Sécurité Sociale, hôpitaux, médecine de ville, pharmacies, et autres lieux de recueil d’informations codées. Les données enregistrées deviennent accessibles à tout opérateur, dit de santé, dont les compagnies d’assurance et tous les acteurs de l’industrie médico-pharmaceutique, afin de mieux les aider à cibler leurs occasions de profit. La gestion de ce fichier est confiée non pas à une institution de santé publique mais à une entité autonome prônant le développement des partenariats public-privé. Et, cerise sur le juteux gâteau, l’hébergeur du système n’est autre que Microsoft, le mastodonte américain de l’Internet. Cet outil de confiscation des données personnelles de notre santé est évidemment revêtu d’un habillage gouvernemental prétendant qu’il permettrait de servir l’épidémiologie et une meilleure gestion des soins. Cependant, regardons un instant la réalité que nous connaissons bien désormais.

L’état pitoyable de notre système de soins, résulte de la mise en place des outils de codage des « actes », médicaux ou paramédicaux, dans une logique mortifère de réduction des dépenses de santé. Ce sont ces données qui alimentent déjà le HDH [1]. Depuis des mois, des médecins hospitaliers, à bout de fatigue et de patience face à la bureaucratie « sanitaire » qui les dirige, font la grève du codage. Ils dénoncent notamment le fait que le codage des « actes » mange outrancièrement le temps nécessaire pour réellement s’occuper des malades. Précisons que le système envisagé est d’autant plus pervers que les actes non codés ne seront pas comptabilisés pour la dotation financière ultérieure des hôpitaux.

Durant des années les pouvoirs publics n’ont eu de cesse de transformer les soins et biens de santé en marchandises à vendre ou acheter. Les hôpitaux publics ont été sommés de devenir des entreprises soumises à une rigueur budgétaire drastique n’ayant plus pour priorité les besoins sanitaires, tandis qu’une concurrence déloyale entre secteur public et secteur privé mettait la Sécurité Sociale au service de l’expansion d’établissements privés à but lucratif, dégagés de toute obligation vis-à-vis de la prise en charge des problèmes de santé publique, notamment en ce qui concerne les pandémies. Enfin, l’épidémiologie a bon dos quand on sait que le droit au suivi professionnel et post-professionnel des travailleurs et populations exposés à des substances toxiques n’est toujours pas reconnu. Les rares lieux où ce suivi existe sont continuellement menacés de fermeture sous la pression de la logique gestionnaire précitée. Or, sur quelles données devrait s’appuyer l’épidémiologie sinon sur le recensement en temps réel des parcours professionnels, des activités de travail exposant aux cancérogènes, des dégâts provoqués par les pollutions environnementales, de la réalité des symptômes et des maladies, ainsi que d’un retour d’expérience en continu sur les pratiques de soins, au plus près des besoins des malades ?

Il est patent que deux logiques inconciliables s’affrontent et que le combat est inégal. La première logique mise très gros sur la techno-médecine où la croyance dans l’infaillibilité des procédures automatisées est puissamment renforcées par les gourous de « l’intelligence artificielle. La seconde logique veut conserver – ou plutôt restaurer –- une médecine humaine où le patient est considéré dans sa globalité socio-sanitaire avant d’être l’enjeu lucratif d’un codage ou d’un fichage numérique. La télémédecine dont on fait désormais abondamment la promotion ira certainement dans le sens de la première logique. On monte en épingle certaines prouesses qu’elle autorise comme par exemple des interventions chirurgicales à distance permettant à des chirurgiens de renom, généralement très occupés, de ne plus avoir à se déplacer pour exercer leur talent. On oublie alors que cet arbre, sans double remarquable, cache la forêt de besoins sanitaires non ou mal couverts. Au lieu de forêt il convient mieux de parler des déserts médicaux. Plutôt que de tout faire pour favoriser l’installation de médecins généralistes là où il n’en existe plus imposons donc la consultation à distance. Ainsi, c’est la dimension humaine des questions de santé que l’on met à distance. Une manière sans doute de prolonger dramatiquement – et peut-être définitivement – la distanciation sociale. Le citoyen vacciné au numérique intempestif, en permanence bombardé de messages commerciaux – et institutionnels - vantant les progrès dus à l’automatisation, est-il encore en mesure de résister au drame annoncé de la médecine déshumanisée ? Ce n’est certes pas la 5G qui nous apportera la réponse !

Notes

[1]  Health Data Hub


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Yann Fiévet

Author: Yann Fiévet

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