L'époque est-elle fasciste?
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Posted on Friday 30 October 2015, 12h00 - updated on 31/10/15 - Tribune - Permalink
Un jour quand vous voudrez descendre dans la rue pour manifester, alerter, informer…vous vous apercevrez que ce n’est plus possible. Et ce jour, en fait, c’est déjà aujourd’hui… si vous ne vous appelez pas Charlie.
Réveillez-vous !L’époque est-elle fasciste ? [1]
Manifester en France, c’est risquer de finir en prison.
(texte signé par une cinquantaine de personnalités et paru dans Libération en avril)
Manifestations interdites pour « raisons de sécurité » ou « risque de troubles à l’ordre public », de plus en plus souvent et avec la complicité de milices faschos (LDJ vs les manifs de soutien à Gaza, FNSEA vs la ZAD du Testet [2] …) Violences policières allant jusqu’à éborgner ou tuer sans risque de condamnation.
Impunité policière : le droit de manifester est en danger (Reporterre)
À Nantes le 22 février 2014, 3 manifestants ont été éborgnés par des tirs de flashball, mais la procureure Brigitte Lamy a classé les plaintes sans suite.
« À Toulouse, classement sans suite le 26 janvier 2015 pour Yann Zoldan, touché par un tir de flashball lors d’une évacuation d’un squat, avec une conclusion stupéfiante de l’IGPN dans son rapport rendu au procureur, rapport qui est a l’origine du classement sans suite, et que Reporterre a pu consulter : « Sur la base des témoignages extérieurs, du profil de la victime et des autres manifestants, M. Zoldan étant effectivement membre de la mouvance écologique radicale susceptible de se livrer à des actions violentes sur le territoire national, l’emploi du lanceur de balles de défense par le brigadier Benoît Kieffer, au demeurant excellent fonctionnaire, très apprécié de sa hiérarchie, doit s’envisager dans le cadre d’une riposte et relève de la légitime défense des personnes et des biens visée à l’article 122-5 du Code pénal, la blessure au visage de M. Zoldan ne se révélant en outre aucunement intentionnelle. »
et pour ceux qui bravent ces interdictions, des peines de prisons FERMES.
À Toulouse toujours, Gaëtan Demay, étudiant en histoire de l’art et archéologie a été condamné à de la prison ferme pour le simple délit d’avoir manifesté. C’était le 8 novembre 2014 en hommage à Rémi Fraisse tué par les gendarmes à Sivens. Toutes les hypothèses de parcours de la manif ayant été refusées par la préfecture de Haute-Garonne, elle se trouve de fait interdite. Résultat : Gaétan a été condamné le premier avril en appel à deux mois de prison ferme, quatre avec sursis et 1100 euros d’amende.
J’étais à cette manif. La police avait tendu une souricière qu’elle réduisait petit à petit avec 2 objectifs : faire peur et procéder à des arrestations.
Dans son message de soutien à Gaëtan, l’écrivain italien Erri De Luca souligne combien «le droit à manifester est un droit non négociable». Il en sait quelque chose. «Pas de prison pour Gaëtan et tous les condamnés pour avoir manifesté», tel est le nom de la campagne actuellement menée pour dénoncer toutes ces atteintes, auxquelles on voudrait nous habituer, aux libertés démocratiques élémentaires.
Dimanche 25 octobre, le lieu de recueillement était à l’évidence là où Rémi Fraisse a été tué, là où la lutte n’est pas finie. La FDSEA [3] a réussi à diviser les organisateurs de l’appel, parce que certains ont facilement acceptés l’idée qu’il fallait plier face aux menaces physiques de Philippe Jougla, président de la FDSEA qui avait dit à la réunion en préfecture qu’il n’était pas exclu pour la FDSEA de mener des actions « en dehors du cadre légal » dimanche, et face à l’interdiction de la maire de l’Isle sur Tarn (pro-barrage) de manifester.
Ce n’est pas l’indignation générale provoquée par cette arrêté d’interdiction de se rassembler en hommage à Rémi Fraisse qui a fait que la préfecture a finalement décidé de ne pas empêcher cette marche. C’est la présence à Gaillac sur le parking du super marché Leclerc d’environ 200 à 400 personnes qui affirmaient vouloir marcher jusqu’à la ZAD en passant par la D999 (route très fréquentée), jusqu’à ce qu’on leur barre le chemin (FDSEA ou forces de l’ordre). L’interdiction de manifester n’a pas été levée, mais le secrétaire général de la préfecture nous a alors proposé de sécuriser notre marche en allant jusqu’à la maison de la forêt en voiture, nous évitant ainsi 3 heures de marche qu’ils auraient bien dû d’une façon ou d’une autre sécuriser aussi si nous étions partis à pied sur la route. Et la possibilité ensuite de nous rendre sur la ZAD en descendant à pied un GR en une demi-heure.
Autant dire qu’au départ nous étions peu confiants et que nous redoutions une souricière dans la forêt. Après discussion nous avons décidé d’accepter sa proposition et c’est escorté de voitures de la gendarmerie que nous nous sommes rendu à la maison de la forêt. Un peu rassurés par le fait que chaque route ou chemin partant de la D999 et allant dans la forêt était barré par la gendarmerie sans doute afin d’éviter le passage de pro-barrage.
voir la courte vidéo :
et écouter le reportage sonore de France info :
On comprend bien que c’était parce que nous étions là que nous avons pu aller sur le lieu où Rémi est mort.
D’autres ont fait un autre choix, mais pour ceux qui étaient venu à Gaillac il semblait impossible d’aller à Plaisance sur Touch se rassembler avec FNE, EELV (Bové et Duflot étaient annoncés quelques jours avant que la marche soit interdite), le PG et le Collectif du Testet (association légaliste qui avait appelé à ne pas manifester il y a un an après la mort de Rémi) et son porte-parole Ben Lefetey qui a choisi de faire carrière en politique (EELV)… Rien de ce qui est dit par l’un des participants à ce rassemblement ne m’étonne.[4]
À Plaisance sur Touch, les participants ont écouté les organisateurs parler, à Sivens, le micro était tendu aux manifestants qui ont pris la parole quand ils en ont eu envie, pour lire un texte, un poème, chanter une chanson, vendre un livre (“L’époque est-elle fasciste ? [1]). Parmi nous, anonymes, la mère et la sœur de Rémi sont venues se recueillir. L’armada de journalistes, sachant qu’elles étaient là, cherchaient en vain à les identifier au sein du groupe. Elles aussi pensaient que c’était là que devait avoir lieu l’hommage à Rémi. Leur présence annoncée depuis la veille[5] nous a peut-être protégée, assurément, elles ont rendu ce moment de recueillement encore plus émouvant.
On nous a annoncé la venue de personnes de Plaisances sur Touch, une centaine : on les a attendus, attendus. Certaines sont arrivés au compte-goutte très tard.
Une belle journée.
Pendant ce temps… L’enquête sur les responsabilités impliquées dans la mort de Rémi Fraisse semble prendre le même chemin que beaucoup d’autres plaintes concernant les forces de l’ordre. Les gendarmes qui ont enquêté sur la responsabilité des gendarmes (cherchez l’erreur) ont conclus : «L’enquête administrative ne fait pas ressortir de manquement aux règles juridiques et déontologiques et aux techniques enseignées au MO » (Maintien de l’Ordre). Étonnant, non ? Pourtant, « un an après la mort de Rémi Fraisse, des témoignages contredisent la version officielle »
Et il faut absolument lire le Rapport de la Ligue Des droits de l’Homme sur les conditions ayant conduit à la mort de Rémi Fraisse. À partir de nombreux témoignages et vidéos, elle y dénonce les violences policières exercées dans les mois qui ont précédés le drame, le flou juridique sur la légalité des opérations de maintien de l’ordre sur un terrain privé, l’absence de traçabilité précise des ordres donnés…[6]
Le corps de Rémi Fraisse n’a toujours pas été rendu à la famille.
L’époque est-elle fasciste ? La question est plus que légitime.
Notes:
[1] Titre du livre écrit par le Collectif Tant qu’il y aura des bouilles après l’expulsion de la ZAD du Testet
[2] Les pro-barrage de Sivens forment des milices, un maire nous raconte
[3] Il faut dénoncer le rôle mortifère de la FNSEA. En France actuellement un agriculteur se suicide tous les 3 jours. La FNSEA est un pouvoir dans l’Etat et dans le monde agricole. Elle a fait main basse sur toutes les chambres d’agriculture (et les subventions) et un agriculteur qui s’y rend pour demander de l’aide a tout intérêt à être adhérent de la FNSEA. Les agriculteurs qui ont des petites et moyennes exploitations ne se rendent pas compte que ce « syndicat » est en grande partie responsable de leur disparition. Ce ne sont pas, comme je l’entend parfois, les réglementations, d’ailleurs insuffisantes, sur l’utilisation des pesticides, des OGM ou de l’eau qui les tuent, c’est cette agriculture productiviste, industrielle, prônée par la FNSEA dont le Président Xavier Beulin profite largement à travers sa multinationale Avril-Sofiprotéol. Voir la très bonne enquête de Reporterre à ce sujet : La grande en quête sur le maître caché de l’agriculture française.
Et aussi, l’extrait du discours d’un paysan lors de l’hommage à Rémi à Sivens le 25 octobre
[4] Sachant que la marche se passait bien à Sivens, un participant a essayé de faire passer cette information à Plaisance sur Touch, « J’ai demandé aux organisateurs si, à la fin des prises de paroles, je pourrais utiliser le micro pour organiser le convoi. Cela m’a été refusé car ils tenaient absolument à rester sur l’idée de ne pas aller à Sivens, estimant que tou.te.s celleux qui étaient là avaient fait un choix aussi tranché que le leur ». Lorsqu’il obtient enfin un autre micro, à la fin des prises de parole, et qu’il annonce la possibilité d’aller se recueillir sans danger sur la ZAD, Ben Lefetey « redit que la manifestation a Sivens était interdite, potentiellement dangereuse… »
[5] « Une partie de la famille de Rémi nous fait savoir qu’elle soutient notre Marche lui rendant hommage, partant de Gaillac en direction de la Stèle !!! Il est possible qu’une partie de la famille se joigne à nous !!! » Tant qu’il y aura des bouilles.
[6] Extraits de la conclusion du rapport de la LDH : « Le non-lieu que prononcera vraisemblablement dans quelques mois ou quelques années l’institution judiciaire (qui, en ne mettant pas même en examen l’auteur du tir qui a tué Rémi Fraisse, a considéré qu’il n’existait pas à son encontre « d’indices graves et concordants rendant vraisemblable qu’il ait pu participer à la commission d’une infraction») et le refus ostensible de cette institution de procéder aux investigations qui la mettraient sur la voie de la recherche de la vérité, s’inscrivent malheureusement dans une triste habitude des autorités françaises, régulièrement dénoncée, notamment par la Ligue des droits de l’Homme et Amnesty International. »
« Quant à ceux qui ont longuement glosé dans les gazettes sur le fait que « la force doit rester à la démocratie» et que les décisions prises concernant la construction du barrage de Sivens l’avaient été dans un cadre parfaitement démocratique, ils témoignent soit d’une méconnaissance absolue du processus décisionnel mis en œuvre dans le cadre de ce projet, soit d’une simple volonté de manipulation politique. Nombre d’analyses convergent pour conclure en effet que, sous couvert d’un respect apparent du processus décisionnel démocratique par le conseil général du Tarn, ce projet a été depuis l’origine élaboré au mépris d’un nombre considérable de normes légales et réglementaires, qu’elles soient nationales ou européennes, et dans le cadre d’un conflit d’intérêt majeur de la part de la Compagnie d’aménagement des coteaux de Gascogne, chargée en amont d’évaluer l’opportunité du projet et appelée en aval à en tirer les bénéfices. La durée habituelle de traitement des recours par la justice administrative (plusieurs années) qui permet aux auteurs de ce type de projet de piétiner la loi et d’achever leur réalisation avant que celle-ci ne se prononce, rend ces recours illusoires et les prive de toute effectivité. Si jamais la juridiction administrative venait un jour à confirmer l’illégalité du projet de Sivens, il serait, avec les modifications que l’autorité politique a consenties, définitivement réalisé et jamais remis en cause. L’invocation de la démocratie contre les opposants aux projets de Sivens ou d’ailleurs, quand elle ne s’inscrit pas dans une pure opération de manipulation, relève d’une conception purement formelle de cette même démocratie : les citoyens votent, puis se taisent. Les élus font comme il leur plaît et n’ont aucun compte à rendre de leurs décisions.
C’est peut-être l’un des maux les plus profonds dont souffre la société française que révèle le drame de Sivens. Des travaux innombrables y sont consacrés, sans déboucher sur un changement profond des pratiques. Si un certain nombre de citoyens ne se sont pas sentis concernés par l’affaire de Sivens, un nombre considérable d’entre eux se sont un jour ou l’autre trouvés (ou se trouveront demain) confrontés à une situation identique : des décisions prises par des autorités drapées dans leur légitimité, au mépris des protestations qu’elles suscitent, quelle qu’en soit l’ampleur. Cette conception « élitiste » et verticale du processus démocratique, qui creuse chaque jour un peu plus la défiance entre les responsables politiques et les citoyens, ruine progressivement les fondements de la démocratie et de la République française. »
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