Le capitalisme est-il soluble dans la crise ?
- Article par Gdalia Roulin
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Posted on Sunday 31 May 2009, 12h00 - updated on 16/02/12 - Édito - Permalink
Et si on pouvait regarder sombrer le capitalisme, les doigts de pied en éventail, en spectateur, comme devant son écran télé, où tout se déroule sans que nous n’intervenions le moins du monde, étant situé d’ailleurs hors de notre atteinte, que les évènements soient légers ou extrêmement graves, qu’ils soient fictifs ou réels ?
Comme si ce monstre carnivore, tel l’hydre de Lerne, n’était pas doté
de multiples têtes, capables de repousser au fur et à mesure que le
héros les coupe !
L’heure, celle de la crise, serait bien choisie d’établir nos bilans, et de décider ensemble de la manière dont nous voulons ou pas dorénavant continuer à faire société.
Certes le système capitaliste nous écrase et il menace mortellement ce qui permet la vie sur la planète, certes la malhonnêteté foncière de ce système est dévoilée au grand jour pour qui veut bien ouvrir les yeux, mais va-t-il pour autant s’effondrer, comme s’il suffisait qu’un organisme soit criminellement injuste et nuisible pour disparaître ?
Je ne le crois pas.
Notre organisation sociale n’est pas fondée sur un réel souci de justice, elle ne respecte pas l’égalité des droits ni la liberté pourtant proclamée par la devise républicaine. Elle n’est pas fondée sur une réelle recherche de l’utilité vivrière pour tous, sur la volonté de promouvoir concrètement l’épanouissement de chacun. Le sens de la fraternité s’apparente à celui de Jacob ou de Caïn, tandis que la solidarité devient insidieusement un délit légalement institué !
Tout tourne autour du mythe du veau d’or, et nos “élites” n’ont de cesse de tout mercantiliser, tout convertir en “profits” actionnariaux démultipliés, tandis que les “ressources humaines” sont comptabilisées dans la colonne “charges patronales”, et considérées comme des objets utilitaires jetables au milieu de tant d’autres poubelles. La nature elle-même n’est pas considérée comme notre source de vie, mais elle est pillée et polluée sans vergogne, comme un domaine exploitable dans le seul but d’entasser des montagnes (virtuelles) de bénéfices monétaires.
L’argent est roi, et la croissance est reine.
La poursuite dogmatique de “la Croissance” prônée à l’unanimité par les affairistes (croissance vertigineuse des profits monétaires des ultra-riches sur le dos des laissés pour compte) ne se contente même plus de reproduire des inégalités criantes, l’oppression éhontée du “bas peuple” par quelques privilégiés de la fortune. Maintenant nous pouvons voir enfin, clair comme le jour, que la poursuite de cette croissance aggrave ces inégalités de façon exponentielle avec un cynisme (pardon Antisthène, Diogène, Cratès, Hipparchia…) et une hypocrisie absolus, et ruine nos vies et la planète, au mépris total du droit des générations futures à pouvoir trouver en arrivant un milieu sain où vivre sa vie.
Que raconte notre mythe fondateur ?
Au début serait le capital, qui, par la grâce de ses investissements généreux, nous permet de trouver le travail que nous sommes supposés chercher à toute fin toute force, démunis que nous sommes, et nous pourvoit donc des moyens (de production) de “gagner” nos vies.
Mettez-vous à la place des patrons : ils ont misé leurs bas de laine, c’est une prise de risque. Vont-ils perdre au jeu ? À moins qu’ils ne gagnent plus !… Tiens donc, ne sont-ce pas toujours les gros qui mangent les petits ? Ils sont donc grassement rémunérés, car l’argent appelle l’argent.
C’est paraît-il justice.
Et tout l’échafaudage bâti là-dessus doit bien comporter quelques erreurs, puisque nous en sommes arrivés au point où certains êtres humains perçoivent en une journée l’équivalent de la valeur reconnue de centaines d’années de travail pour d’autres !
Les ci-devant patrons ont en outre le pouvoir de décider, puisqu’ils sont les heureux propriétaires des entreprises, et nous devrions nous sentir solidaires de leur fortune personnelle, puisque s’ils font faillite, ou partent avec la caisse, nous perdons notre “emploi” et les subsides qui nous permettent de vivoter.
Parfois même, le travailleur est devenu mini-actionnaire de sa propre boîte, histoire de se sentir impliqué dans la course aux bénéfices, qui seront néanmoins mini pour lui, mais quand on a trop besoin, pour sûr, on hésite à cracher dans la soupe !
Cette belle loi de la jungle au service des plus forts, de ceux qui pèsent financièrement, quelles que soient les origines de leur compte en banque, se voudrait une loi juste, une sorte de rétribution du mérite, quasiment une “loi naturelle” ! Quelle escroquerie !
C’est supposer bien naïvement qu’il est juste de naître riche, ou pauvre, et que chacun est rétribué “à sa juste valeur”, et que les prix fixés le sont par rapport à une valeur réelle, “objective”, des marchandises. Quelle illusion ! Dans la détermination d’un prix entre surtout la valeur d’échange, qui peut être fondée sur la tromperie pure et simple, et qui souvent, rapporte d’autant plus que le prix de revient est compressé au maximum et le prix de vente gonflé autant que possible. Et on nous bourre le mou à grands renforts de publicités forcément mensongères, puisqu’il ne s’agit en aucun cas d’information, mais de nous inciter à acheter d’une manière quasiment hypnotique. Et bien-sûr, le consommateur la paie, la facture publicité. En outre, il est des bureaux d’études qui travaillent, et bien rémunérés eux aussi, à faire en sorte que les objets produits ne durent surtout pas trop longtemps, car il “faut faire marcher le commerce”…
Imbroglios de cercles vicieux qui nous enchaînent à un statut passif de consommateurs-quémandeurs d’emploi, fragilisés, culpabilisés et sous surveillance, ou de salariés cantonnés souvent à des tâches absurdes et rarement choisies, uniquement pour percevoir à la fin du mois les maigres ressources monétaires qui nous permettront de nous ravitailler et d’entretenir ce système prédateur qui nous conduit droit dans le mur, en ne nous demandant surtout pas notre avis.
Deux poids, deux mesures…
Si nous élargissons un peu notre champ de vision, nous voyons à quel point l’ordre économique qui s’impose à nous, et qui s’emploie à mettre le monde entier sous sa coupe, est nocif.
Si nous, simples humains, avons tendance à nous focaliser sur notre famille, nos amis, notre pays, le système capitaliste, lui, s’est complètement mondialisé depuis quelques dizaines d’années, et passe largement au-dessus des États.
Les hommes d’État, nos chers élus, sont en général devenus des pantins dans les mains des puissances d’argent, qui disposent de budgets démentiels, bien supérieurs à ceux des États…
Des marionnettes, ou des complices. À se subventionner tant et plus les uns les autres.
Quand un ménage est “surendetté”, comme on dit, c’est la honte, la mise sous tutelle franche, ou enrobée d’un service d’assistance ou de conseil budgétaire que les malheureux ne sauraient esquiver, coincés qu’ils sont dans leurs crédits impayés ou autres dettes, tandis qu’il faut survivre et nourrir leur famille au jour le jour, en gardant un toit sur la tête, tant que possible. Ce sont rarement les organismes de crédits usuriers qui se voient rappelés fermement au sens de la mesure.
Quand la finance internationale joue quasiment au casino avec les sous qu’ils ont raclés dans nos tiroirs pour empiler leurs montagnes d’or, et quand les bulles éclatent en ne laissant que du vent, on ne va pas leur dire qu’ils ont mal géré leur budget ! Ce ne sont pas des ménagères au bout du rouleau, ces distingués “cols blancs” ! Là, la solidarité nationale joue à plein, toujours dans le même sens que d’habitude, et c’est avec la plus grande célérité que nos brillants gouvernements volent très concrètement au secours de leurs amis de classe, à coups de milliards, ponctionnés benoîtement sur le pot commun. En se gardant bien de nationaliser ce que l’argent du peuple aura renfloué. Pourtant, n’est-ce pas là le credo de nos dirigeants : défendre le droit de propriété ?
Devons-nous en conclure que lorsqu’une grosse banque est au bord de la faillite, les milliards déboursés par l’État ne sauraient jamais la racheter ? Parce que nous ne saurions jamais posséder collectivement ce que pourtant seul l’argent réuni de tous peut payer ?
Quand un quidam n’arrive plus à régler les traites de sa maison, on ne fait pas tant d’histoires pour le mettre sur le pavé, sans effacer son ardoise pour autant !
Et l’État ne trouvera pas non plus les quelques milliards pour renflouer le soi-disant trou de la sécu, bien qu’il s’agisse d’un organisme vital de solidarité nationale ! Hé quoi, les assureurs privés bavent à la porte !
Et tout cela n’empêchera nullement la pensée unique de continuer à prétendre que ces ripoux & compagnie ayant apporté le capital, ils ont donc droit à leurs dividendes. Cela ne les empêchera pas davantage de délocaliser à loisir pour trouver plus productifs que nous, et plus rentables, en jetant les travailleurs à la rue après avoir pressé le citron au maximum…
Puisque nous sommes dans un pays libre,
essayez d’expliquer que vous ne voulez plus jouer à ce jeu là.
Essayez de dire que cette entreprise que le patron veut délocaliser doit, en bonne justice, appartenir aux travailleurs, à ceux qui ont réellement engraissé la boîte de leur sueur, et que si le patron veut partir, bon voyage ! Que les travailleurs n’ont qu’à s’approprier leur entreprise et la gérer à leur façon. Si les patrons ne peuvent pas se passer d’employés, puisqu’ils tirent leurs revenus de la valeur marchande produite par leurs salariés, les employés qui se passent de patron se sont débarrassés d’un parasite.
(Je ne parle pas ici des “petits patrons”, des artisans à échelle humaine qui travaillent aussi dur que leurs employés, qui ne sont eux aussi que trop menacés de ruine par les requins, et qui seraient peut-être beaucoup plus sereins s’ils pouvaient vivre dans un contexte social et économique de solidarité, au lieu d’être affrontés à un marché à la concurrence féroce, soit-disant libre et non faussée, qui ne donne pas toujours une prime à la qualité, loin de là.)
On peut toujours essayer. C’est alors que notre gouvernement élu, grand subventionneur grâce à l’argent de nos impôts des faillitaires cossus, envoie les forces dites “de l’ordre” contre les travailleurs floués et indignés, qui osent occuper leur lieu de travail, manifester leur colère et retenir quelques heures un directeur ou un PDG ! En nous racontant, en prime, que ces travailleurs en colère sont des voyous, et en se faisant passer pour le chevalier blanc.
Des délinquants, ces travailleurs manipulés et trompés, en train de perdre, avec leur travail, tout ce qu’ils avaient cru pouvoir “gagner” dans leur vie, et qui plongent tout à coup dans la précarité avec leur famille, leurs enfants, parce qu’il serait licite que des actionnaires anonymes ponctionnent toujours plus de profits par tous les moyens !
Quel curieux sens de la justice !
Liberté, égalité, fraternité, qu’ils disaient !
Dans la foulée, puisqu’il s’agit, paraît-il, de « moraliser… le capitalisme » (sic), exigeons la levée de tous les secrets bancaires, et la suppression totale des paradis fiscaux, ce qui résoudrait d’un coup pas mal de problèmes d’argent sale. Si, pour une fois, les actes concordaient vraiment avec les paroles, en toute honnêteté ?
Mais je crains qu’en l’occurrence nous n’attendions bien longtemps et en vain !
Pourquoi ne pas exiger des choses aussi raisonnables que de cesser de plier sous la loi des profits exorbitants de quelques ultra-privilégiés, d’exiger de choisir nous-mêmes comment nous voulons vivre (en paix), et ce que nous voulons fabriquer ou non, d’exiger de produire des objets utiles, de qualité, beaux, fonctionnels et solides que nous aurons conçus ensemble, d’exiger que les pollutions soient radicalement interdites et les équilibres écologiques respectés ?
Il est vraiment temps de remettre beaucoup de choses à plat, et de nous questionner ensemble pour savoir ce que nous voulons faire, ensemble, de nos vies. Pour savoir dans quelle société nous voulons vivre, et selon quel contrat social. Selon quelle organisation économique et démocratique.
Et dire quel monde nous voulons laisser à nos enfants !
Et personne ne prendra à notre place les responsabilités qui nous incombent.
« L’État comprime et la Loi triche,
L’impôt saigne le malheureux ;
Nul devoir ne s’impose au riche ;
Le droit du pauvre est un mot creux
C’est assez languir en tutelle,
L’Égalité veut d’autres lois ; […]
Producteurs, sauvons-nous nous-mêmes,
Décrétons le salut commun ! » [1]
[1] Eugène Pottier, L’Internationale – Paris, juin 1871.
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- Geneviève Confort-Sabathé · 31 May 2009, 17h41
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Gdalia,
Je ne retirerai pas un mot de ce texte bien que comme toujours je reste convaincue qu’il ne peut y avoir de véritable changement de paradigme sans un rapport de forces dont nous ne pouvons pas encore dessiner les contours mais dont il est évident pour moi qu’il passera pas une prise de la Bastille. Nous serons peut-être déjà mortes mais nos enfants y parviendront. Parfois, je pense à ce film “La Servante écarlate”. Et je me dis qu’aucune dictature ne résiste à la joie révolutionnaire, au désir de vie, à la passion libertaire. Pas même la dictature de l’argent.